La Russie porte une responsabilité dans la répression dont les homosexuels et les transgenres sont les victimes en Tchétchénie, selon un rapport de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), consulté par Le Monde. Datant du 13 décembre, cette première enquête internationale fouillée démontre une complicité passive de Moscou, concernant les persécutions sans précédent révélées par le journal indépendant russe Novaïa Gazeta, le 1er avril 2017.
L’OSCE parle d’une traque entamée dès décembre 2016 pour s’achever « sous la pression internationale » après mai 2017, même si des cas ont été documentés en septembre et en octobre 2018.
« Il paraît difficile de douter de la véracité des allégations, car elles ont été confirmées par différentes sources fiables : témoignages de victimes et de témoins, avocats, rapports d’organisations locales. »
L’OSCE est un outil diplomatique neutre, issu de la guerre froide. Il est au service du dialogue entre l’Est et l’Ouest du continent. Fort de ses 57 Etats membres, il affirme que ces preuves corroborent par ailleurs le travail de la défenseuse des droits en Russie, Tatiana Moskalkova, et du président du Conseil russe des droits de l’homme, Mikhaïl Fedotov.
« Les institutions de la Fédération de Russie, qui sont de manière générale efficientes, ont du mal à gérer la situation dans cette république du Caucase », peut-on encore lire dans le document de l’organisation basée à Vienne, en Autriche.
« La Tchétchénie est traitée comme un cas à part, un endroit où un régime spécial d’impunité est toléré, au nom de la stabilité. […] Il est donc légitime de se demander s’il y a un manque de volonté politique ou si la Fédération de Russie a perdu le contrôle des événements en Tchétchénie. La plupart des observateurs pensent qu’il y a un manque de volonté politique, au nom de la stabilité dans la région. »
« Certaines personnes n’ont pas survécu »
Ce rapport a été rédigé à la demande de seize Etats participants de l’OSCE, tous occidentaux. Il fait état de victimes déclarant avoir été arrêtées arbitrairement par des policiers ou des militaires, humiliées et torturées pendant des semaines, pour qu’elles affirment être homosexuelles et donnent les noms de personnes supposément homosexuelles. Le porte-parole du Parlement, Magomed Daoudov, est accusé d’avoir personnellement pris part à certaines sessions de torture, « ce qui démontre que cette campagne a eu lieu avec le soutien de l’Etat ».
« Dans plusieurs cas documentés, certaines personnes n’ont pas survécu ; d’autres ont été exécutées sans jugement, en particulier lorsque leurs familles refusaient de payer des sommes d’argent considérables », est-il écrit. Des femmes, soupçonnées d’être lesbiennes, auraient été violées avant d’être victimes de « crimes d’honneur ». Pour les survivants, une procédure de rééducation aurait été mise en place, en coopération avec leurs familles, un « exorcisme islamique », « sorte de thérapie contre les démons » étant pratiqué dans un centre médical de Grozny.
Selon l’ONG russe de soutien aux minorités sexuelles, LGBT Network, 135 homosexuels et transgenres se sont enfuis de Tchétchénie. Cent vingt ont été accueillis dans un pays européen ou au Canada. Une seule personne a osé déposer une plainte auprès du système judiciaire russe, sans succès. Elle souhaiterait désormais porter l’affaire auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
« Climat d’impunité intolérable »
« Moscou a refusé de coopérer à la rédaction de ce rapport », regrette Véronique Roger-Lacan, l’ambassadrice de France auprès de l’OSCE, au nom des seize pays l’ayant réclamé.
« Or il confirme un climat d’impunité intolérable en Tchétchénie, alors que la Russie considère toujours que les inquiétudes sont sans fondement. Nous recommandons la mise en place d’un comité spécial d’investigation, à même de faire toute la lumière sur la répression dont les personnes LGBTI sont victimes. Et nous saluons le courage immense de la société civile russe, qui se bat pour que la justice soit rendue. »
En 2017, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait déclaré ne « voir aucun fait concret sur les violations des droits des LGBT en Tchétchénie ». Cité par l’agence Interfax, Ramzan Kadyrov, installé en 2007 à la tête de cette région musulmane par Vladimir Poutine, avait quant à lui balayé les accusations d’un revers de la main. Car selon lui, « dans la société tchétchène, ce phénomène que l’on appelle orientation sexuelle non traditionnelle n’existe pas. »
Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant)