Un rapport de la commission des lois sénatoriale rejette toute idée d’expulsion ou d’internement des personnes signalées.

Vouloir faire œuvre de pédagogie sur les fiches « S » une semaine après l’attentat de Strasbourg qui a fait cinq morts n’est pas chose aisée. C’est pourtant l’ambition du sénateur du Cher François Pillet, rattaché au groupe Les Républicains (LR), qui a piloté le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur « l’amélioration de l’efficacité des fiches “S” ». Ses conclusions livrées mercredi 19 décembre prennent le contre-pied de ce que nombre de responsables politiques de droite et d’extrême droite proposent pour renforcer l’arsenal de prévention du terrorisme.

Le rapport du groupe de travail souligne d’abord avec force que « les fiches “S” ont été assimilées à tort à un marqueur de radicalisation et de dangerosité ». En raison de nombreuses confusions et approximations véhiculées, « elles ont fait l’objet au cours des dernières années d’une focalisation politico-médiatique délétère, tant pour l’efficacité de l’outil que pour l’action des services de renseignement ». C’est d’ailleurs au lendemain de l’attaque perpétrée dans le quartier de l’Opéra en mai par Khamzat Azimov, Français d’origine Tchétchène, « fiché S », que la commission des lois du Sénat et son président, Philippe Bas (LR), avaient créé ce groupe de travail.

Remontée d’information

Au 11 décembre, le fichier des personnes recherchées, qui contient des signalements sur environ 580 000 personnes, comportait 29 973 personnes faisant l’objet d’une fiche « S ». Les sénateurs rappellent qu’il s’agit d’un outil destiné à faire remonter de l’information, mais aucunement à inscrire une personne parmi les objectifs des services de renseignement. Les services de police ou de contrôle aux frontières sont ainsi censés collecter de l’information, par exemple avec qui voyage la personne et sa destination, lorsque au hasard d’un contrôle routier ou dans un aéroport le clignotant d’une fiche « S » s’allume. Il existe onze catégories de fiches « S » qui ne correspondent pas à des niveaux de dangerosité, mais renvoient à des conduites à tenir. Seules 12 % de ces fiches exigent de « contacter immédiatement le service demandeur pour instructions ».

« La fiche “S” est donc un moyen d’investigation à faible coût humain », lit-on dans ce rapport, « et pas un outil de suivi de la radicalisation ». C’est le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste créée en 2015 qui remplit cet office. Sur les 20 560 individus figurant au 1er décembre dans ce fichier, 9 762 font d’ailleurs l’objet d’une fiche dite « active » affectée à un service de renseignement. Il existe bien sûr des croisements puisque environ les deux tiers des personnes faisant l’objet d’une fiche « S » sont fichées pour radicalisation ou en raison de leurs relations avec des personnes radicalisées.

« Méconnaissance »

Aussi, M. Pillet déplore les commentaires « erronés » ou « simplistes » qui surgissent après chaque attentat sur l’efficacité des services de renseignement. « Les fiches “S” n’ont en effet jamais eu pour objet d’empêcher un attentat », écrit le sénateur du Cher. Aussi qualifie-t-il d’« hasardeuses » les propositions qui fleurissent dans ce contexte.

« Qu’il s’agisse d’expulser les personnes “fichés S” du territoire national, de leur placement en rétention administrative ou sous bracelet électronique, ces propositions reposent toutes sur une méconnaissance de la nature et de la finalité des fiches “S” », affirme le rapport. Autant de mesures réclamées avec insistance par Laurent Wauquiez (LR), Marine Le Pen (Rassemblement national) ou Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France). Valérie Pécresse, présidente (LR) de la région Ile-de-France, a par exemple affirmé le 12 décembre que « les “fichés S” pour radicalisation doivent être déférés devant la justice pour “intelligence avec l’ennemi” et mis hors d’état de nuire ». Il n’est pas sûr que le rapport sénatorial suffise à ramener de la sérénité dans ce débat.

Jean-Baptiste Jacquin

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