Olivier ROY. Dans cette affaire, l’attitude de Moscou est assez logique : Poutine veut criminaliser l’ensemble du mouvement tchétchène. L’exercice est d’autant plus facile que la société tchétchène est toute petite ; tout le monde se connaît. Les chefs de guerre et les dirigeants ont tous combattu ensemble à un moment ou à un autre. Maintenant, le problème est de savoir si Aslan Maskhadov était impliqué dans la prise d’otages, ou s’il en avait connaissance. C’est à la justice de le dire.
Le pouvoir tchétchène a-t-il déjà basculé dans le camp des rebelles les plus extrémistes?
Il n’avait pas le choix. Poutine n’a pas voulu négocier avec les combattants. Le pouvoir tchétchène n’a plus rien à perdre à s’allier avec les radicaux. L’absence de soutien sur le plan international a également favorisé la radicalisation des élites. Nous assistons à une escalade vers le terrorisme dont le résultat sera sanglant. Les Tchétchènes veulent exporter la violence à Moscou, le seul endroit où il y a une opinion publique. C’est le même raisonnement que celui des Palestiniens qui se font exploser à Tel-Aviv.
Quel a été le rôle d’Al Qaida en Tchétchénie ?
Les liens entre Al Qaida et les chefs de guerre tchétchènes relèvent d’une alliance tactique plus que d’une relation structurelle. Des hommes d’Al Qaida se sont rendus en Tchétchénie, comme Khattab, un Jordanien qui avait combattu au côté de Ben Laden en Afghanistan, à l’âge de dix-sept ans, avant de devenir un chef de guerre en Tchétchénie. Il y a aussi tous ces volontaires arabes prêts à se battre en Tchétchénie, et qui ont été arrêtés en Géorgie.
Quelques Tchétchènes sont enfin partis en Afghanistan, mais aucun d’entre eux ne figure jusqu’à présent au sein des réseaux internationaux d’Al Qaida.
La Tchétchénie reste-t-elle une terre de djihad prioritaire ?
La Tchétchénie est une terre de djihad que je qualifie de « périphérique », car elle est extérieure au Moyen- Orient. Mais, pour les néofondamentalistes, elle représente un enjeu bien plus important que la Palestine. On le constate dans leur propagande. La Tchétchénie a d’ailleurs drainé plus de volontaires que la Palestine. Aucun beur de banlieue n’est allé se battre en Palestine ou même en Algérie. En revanche, nombre d’entre eux se sont rendus en Afghanistan, en Bosnie et en Tchétchénie.
Le commando de Moscou dirigé par Baraïev peut-il avoir des liens avec les fondamentalistes arabes ?
Ce commando est le fruit d’une radicalisation terroriste avec une mise en scène islamiste. Les femmes kamikazes n’existent pas chez les wahhabites. Ben Laden ne tolérerait pas de femme dans ses troupes. Mais, là encore, c’est la comparaison avec la Palestine qui s’impose. On assiste au même désespoir et à la même dérive terroriste. Mais le résultat peut être différent dans les deux pays. Si, au Proche-Orient, les kamikazes n’aboutissent qu’à renforcer le pouvoir de Sharon ; à Moscou, ils peuvent déstabiliser Poutine. Les gens de Moscou ne veulent pas payer pour cette guerre de Tchétchénie.
Si les Russes se retiraient demain de cette République du Caucase, qu’adviendrait-il ?
Ce sera la guerre des clans, comme en Afghanistan. Entre les deux conflits de Tchétchénie, les élites ont eu trois années de répit, mais elles ont été incapables de construire un Etat solide. Le fondamentalisme peut surgir, mais je ne crois pas qu’il y aura une islamisation en profondeur de la population. Le coup de la femme voilée de noir, c’était avant tout de la mise en scène.
Alexandrine BOUILHET
Le Figaro, no. 18111
jeudi 31 octobre 2002, p. 2