Pourtant, il est clair qu’après le raid à Moscou du commando de Mousar Baraïev, rien en Tchétchénie ne sera plus comme avant. L’élite politique russe s’est divisée en deux groupes : les uns, surtout des représentants du parti pro-gouvernemental Unité, demandent au Kremlin des « actions musclées contre les séparatistes » en applaudissant la promesse de Vladimir Poutine d’accroître le financement de l’« opération antiterroriste » en Tchétchénie et des services spéciaux. Les autres, surtout les libéraux de l’Union de droite et de Iabloko, se prononcent pour une solution pacifique et le début de négociations, reconnaissant toutefois que le président indépendantiste Aslan Maskhadov – qui aurait organisé l’action de Baraïev – ne peut plus être l’interlocuteur de Moscou.
Khassaviourd, le souvenir d’une « capitulation » russe
Alors qui ? Personne en Russie ne peut répondre pour l’instant. « Il est encore trop tôt pour parler de négociations, avoue un responsable de l’administration présidentielle parlant sous le couvert de l’anonymat. D’abord, il faut faire un effort militaire en Tchétchénie et ratisser le territoire. L’hiver en Tchétchénie est une période où l’initiative appartient aux forces fédérales. Nos avions et hélicoptères peuvent donc facilement les repérer. Il faut en profiter pour mener des opérations contre Maskhadov et Chamil Bassaïev, ceux qui ont planifié et dirigé l’attaque terroriste à Moscou. Si les deux personnages sont tués ou capturés, on pourra théoriquement entrer en négociation avec d’autres séparatistes, plus modérés, qui ne sont pas liés aux terrorismes internationaux et n’ont pas commis de crimes contre la population civile ».
Lorsqu’on prononce à Moscou le mot « négociation », on fait toujours une précision : le nouveau traité de Khassaviourd, une nouvelle « capitulation devant les séparatistes » est exclue. Khassaviourd est une ville du Daghestan. En 1996 le général Alexandre Lebed, à l’époque chef du conseil de sécurité russe, avait signé avec Aslan Maskhadov un accord mettant fin à la première guerre tchétchène. Les troupes russes ont quitté la République et les sécessionnistes ont obtenu de facto l’indépendance. « Le résultat, on le connaît tous, poursuit notre interlocuteur de l’administration présidentielle. En trois ans, la Tchétchénie s’est transformée en une république criminelle où les terroristes internationaux, les islamistes, les criminels de toute sorte, et surtout les preneurs d’otages, ont trouvé refuge. On fusillait les gens à la mitrailleuse en plein centre de Grozny. Et tout ça sur ordre de Maskhadov, devant les caméras. Le Kremlin ne veut pas répéter les mêmes erreurs. La Tchétchénie doit rester sous contrôle russe. »
Si l’on en croit les analystes moscovites, le but du Kremlin serait de réduire la présence militaire russe en Tchétchénie, en s’appuyant de plus en plus sur des commandants tchétchènes pro-russes. Ceux-ci, dont on ne parle pas beaucoup, représentent une force réelle. Ils contrôlent plusieurs régions de la République. Le cas de Goudermef, deuxième ville de Tchétchénie, serait le plus spectaculaire. Goudermef est le fief des frères Iamadaev, chefs militaires qui, pendant la première guerre tchétchène, ont combattu les Russes. En 1999, ils se sont ralliés à Moscou. Tout comme le mufti de la Tchétchénie, Akhmad Kadyrov, originaire lui aussi de Goudermef. Ce dernier a même été placé à la tête de l’administration tchétchène pro-russe.
Le conflit se transforme progressivement en une guerre civile entre différents clans, tribus et factions tchétchènes. A Moscou, on reconnaît qu’il faudrait confier la pacification de la République aux partisans de Kadyrov. Quelque 80 000 soldats et officiers russes devraient donc rester en Tchétchénie pour une durée indéterminée. La deuxième guerre tchétchène continue.
Maxime IOUSSINE
Un hélicoptère russe s’écrase en Tchétchénie
Quatre personnes ont trouvé la mort à bord d’un hélicoptère militaire russe Mi-8 abattu hier après-midi par les rebelles tchétchènes près du quartier général des forces russes aux alentours de Grozny, selon des sources militaires russes citées par Interfax.
IOUSSINE Maxime
La Croix
MONDE, mercredi 30 octobre 2002, p. 18