Désormais, les Russes ne peuvent plus dire que la guerre n’existe pas en Tchétchénie et surtout que cela ne les concerne pas. Quel que soit le dénouement de cette crise, cette action spectaculaire constitue un tournant dans cette deuxième guerre de Tchétchénie, entamée en octobre 1999 par Vladimir Poutine, et pour le Kremlin tant le pouvoir du président russe est liée à ce qui se passe à Groznyï. “Le Comité Tchétchénie et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) déplorent qu’il ait fallu cet événement pour que le monde semble découvrir que la normalisation de la situation annoncée par Moscou est un leurre”, indique le communiqué des deux associations françaises. “Depuis septembre 1999, les forces russes mènent en Tchétchénie une nouvelle guerre qui se caractérise par une politique de terreur contre la population civile, par la perpétration quotidienne de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les autorités russes se sont toujours refusées à de véritables négociations avec le président élu Aslan Maskhadov, dont les représentants ont d’ailleurs condamné la prise d’otages (…). Nos organisations appellent enfin à la reprise des négociations entre les autorités russes et le président Maskhadov, légitiment élu”, indiquent-elles.
La question qui se pose est bien celle- là : trouver une issue à cette guerre. Vladimir Poutine va-t-il revoir sa stratégie jusqu’au-boutiste (“Il faut buter les terroristes jusque dans les chiottes”) ou bien entamer un début de négociations comme ce fut le cas en 1995 lors de la prise d’otages de Boudenosk. La Russie était alors dirigée par Boris Elstine. En pleine guerre de Tchétchénie (1994-1996), un commando de deux cents Tchétchènes avait pris position dans un hôpital, dans une zone russe hors des combats, retenant pendant plusieurs jours un millier de patients. L’assaut des forces spéciales fut un carnage : 150 morts parmi les civils et la fuite des combattants tchétchènes. Le tollé fut tel que le pouvoir dut ouvrir des négociations. Un an après, les blindés russes quittaient Groznyï. Vladimir Poutine doit certainement y penser.
Il sait que si de nombreux otages meurent, il ne pourra faire autrement que de revoir sa position sur la stratégie, quitte à déclarer la guerre à une partie des généraux russes favorables à la poursuite du conflit. D’ores et déjà, de nombreuses voix proches du président russe vont dans ce sens. L’ancien président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, rallié à Vladimir Poutine, a appelé les autorités russes à laisser partir les ravisseurs tchétchènes et à s’engager à régler le problème par la voie politique.
Pour la première fois, la presse remet en cause Vladimir Poutine. Le président Poutine va devoir “réorienter toute sa stratégie” vis-à- vis du Caucase, selon Nezavissimaïa Gazeta, qui regrette que la Tchétchénie “ait été activement exploitée pour régler les problèmes du pouvoir”. “L’agenda de la campagne militaire dans le Caucase du Nord a coïncidé de façon frappante avec celui des élections fédérales”, et “une petite guerre à l’extrémité du pays” a fait taire les aspirations sociales, souligne le quotidien. “Le président doit choisir : soit devenir le général de Gaulle qui a rendu l’Algérie pour sauver la France, soit devenir Staline, qui a résolu le problème national par la déportation, notamment du peuple tchétchène, déléguant ainsi le problème à ses successeurs”, a estimé pour sa part le journal centriste Izvestia. Des propos inimaginables il y a encore quelques jours.
Avant cette prise d’otages, l’opinion publique russe était de plus en plus favorable (60 %) aux négociations avec les rebelles. À l’approche des élections législatives de décembre 2003 et de la présidentielle de 2004, les conséquences de cette crise sur l’opinion publique guideront sans doute Vladimir Poutine à durcir sa position comme le réclame une partie de la classe politique ou bien à mettre un terme à une guerre de trois ans. La balle est dans son camp.
Damien Roustel
l’Humanité
l’Humanité hebdo;, Plus loin que les faits, samedi 26 octobre 2002, p. 12