Sommet d’Istanbul. La Russie fait un geste vers la communauté internationale. Au terme d’une journée au cours de laquelle la Russie a fait figure d’accusée, un accord a finalement été trouvé sur le texte final du sommet, qui reconnaît à l’OSCE un rôle dans la recherche d’une solution. Une mission se rendra dans le Caucase.

Commencée dans la tension, la première journée du sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’est achevée sur une note encourageante. L’accord intervenu, s’il ne règle pas le grand problème du moment, la guerre de Tchétchénie, ouvre la porte aux négociations. Mis en accusation, dès l’ouverture du sommet d’Istanbul, par différents chefs d’État et de gouvernement, pour sa politique en Tchétchénie, Boris Eltsine avait abandonné le sommet hier, arguant du différend qui l’oppose aux autres membres. Mais son ministre des Affaires étrangères, Igor Ivanov, resté sur place, a participé aux travaux qui ont débouché sur un accord de principe, sur la Tchétchénie.

 

Les cinq points négociés par les ministres des Affaires étrangères français, italien, américain, russe et allemand mettent l’accent sur la reconnaissance par Moscou de “l’importance centrale” d’une solution politique. l’accord souligne le rôle de l’OSCE dans le processus, notamment pour la relance du dialogue, et l’envoi d’une mission de l’organisation dans la région du conflit, donc en Tchétchénie.

 

Le chemin parcouru hier est notable si l’on rappelle les escarmouches du matin. Les principaux pays membres souhaitaient faire figurer dans le document final une mention à la question tchétchène, conditionnant cet acte à la signature de la Charte sur la sécurité en Europe, soumise à la discussion des 54 pays membres. Président en exercice, le ministre des Affaires étrangères norvégien Knut Vollebaeck avait déclaré que “l’OSCE est prête à faciliter le dialogue pour trouver un règlement politique”.

 

Comme il était prévisible, la question tchétchène a dominé le sommet. Le fait que la Russie y fasse figure de paria pour son action militaire massive touchant les populations civiles a pesé sur les débats. Knut Vollebaeck a confirmé, ainsi que les présidents des États-Unis et de la France et le chancelier allemand Gerhard Schröder qu’ils reconnaissaient l’intégrité territoriale de la Russie – cette dernière, répétant que le problème de la Tchétchénie est une affaire intérieure, refuse de ce fait les médiations. Tous les intervenants ont affirmé “ne pas remettre en cause l’intégrité” de la Russie, et lui ont reconnu le droit légitime à “lutter contre le terrorisme”, mais ils se sont dits inquiets devant la disproportion des moyens employés.

 

Bill Clinton a soumis son homologue russe au régime de la douche écossaise. Après avoir fait l’éloge de Boris Nicolaievitch, qui, debout sur un char en 1991, lui avait occasionné “un des moments les plus exaltants” de sa vie, Bill Clinton s’en est servi pour illustrer sa démonstration quant au droit de la communauté à la critique de l’offensive russe en Tchétchénie: “Si vous aviez été jeté en prison au lieu d’être élu président, j’ose espérer que les dirigeants autour de cette table auraient pris votre défense et celle de la liberté en Russie, au lieu de dire: “C’est une affaire intérieure russe dont nous ne pouvons pas nous mêler””. De même, le président américain a rejeté les accusations russes, dénonçant l’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie. Ces échanges font partie de la panoplie du négociateur. Jacques Chirac, rompant avec son ton traditionnellement réservé, a taxé l’offensive russe, dont les “conséquences” sur les civils sont “inacceptables”, “d’erreur tragique pour l’ensemble de la région”. Les différents orateurs ont souligné la nécessité de trouver des solutions politiques, par le dialogue, au conflit.

 

L’affaire de la Tchétchénie apparaissait, au départ, comme un noeud gordien bloquant nombre d’avancées. Ainsi Jacques Chirac avait menacé de ne pas ratifier la Charte sur la sécurité et le traité CFE sur l’équilibre des forces conventionnelles si les accords ne sont pas respectés, ne cachant pas qu’il faisait allusion à “la crise du Caucase du Nord”.

 

Dans le même temps, le ton s’est durci entre Moscou et Tbilissi. Les Géorgiens taxent leurs voisins de provocateurs, dénonçant les violations de leur espace aérien par l’aviation russe; de leur côté, les Russes accusent la Géorgie d’accueillir les combattants tchétchènes et d’accorder le passage aux mercenaires islamiques transitant par l’Azerbaïdjan. Ces échanges traduisent, pour la partie russe, d’une profonde amertume. Elle se sent trahie par la Géorgie qui se dit prête à rejoindre l’OTAN en 2004 et joint sa voix aux critiques adressées à Moscou par Bakou. Comme est amer son échec sur la question du tracé de l’oléoduc devant acheminer le pétrole de la Caspienne vers la Méditerranée. Le projet défendu par la Turquie et l’Azerbaïdjan, soutenu par les États-Unis et qui évite les territoires méridionaux de la Russie, verra bientôt le jour.

 

Les actes de la pièce qui se joue à Istanbul confirment la place centrale qu’occupe la Tchétchénie. On ne saurait accepter qu’un peuple se transforme en pion sur l’échiquier stratégique. Les souffrances de toute une population exigent des concessions de la part des acteurs directs et indirects. L’OSCE en quête de crédibilité sur le plan de la sécurité en Europe se doit de surmonter les crises, en privilégiant la voie politique.

 

RASSEMBLEMENT À PARIS

 

À l’initiative du Comité Tchétchénie, une manifestation est prévue samedi 20 novembre à 15 heures place de la Sorbonne à Paris. Ce comité regroupe de nombreuses personnalités parmi lesquelles Yasmine Boudjenah, Geneviève Fraisse, Fodé Sylla, le chercheur Pierre Hassner, Jean Radvanyi, professeur à l’INALCO, Francis Wurtz, Daniel Cohn-Bendit, Mgr Jacques Delaporte, évêque de Cambrai et président de Justice et Paix, Daniel Durand, président du Mouvement de la paix, André Glucksmann, Noël Mamère, Michel Rocard, Alphonse Véronèse, secrétaire de la CGT.

 

Le comité Tchétchénie demande l’arrêt immédiat des bombardements, le retrait des forces armées russes, la reprise des négociations, l’accès et le secours aux blessés et aux réfugiés, la réactivation de la mission de l’OSCE sur place et la mise en place d’un tribunal international pour juger des crimes de guerre.

 

LE PCF APPELLE LA RUSSIE À CESSER LA GUERRE

Dans un communiqué, Francis Wurtz, responsable du département international du PCF, observe que “la population tchétchène est doublement victime, d’une part de clans et de bandes aux activités souvent mafieuses, d’autre part des calculs cyniques des maîtres du Kremlin qui recourent à une intervention brutale pour détourner l’attention de leur corruption et de la situation catastrophique où ils ont plongé la Russie. Nous appelons les autorités russes à cesser sans délai leur guerre en Tchétchénie.

 

Il est dans l’intérêt des populations russes et tchétchènes de trouver une solution négociée à leurs problèmes. Tout autre voie risque de déboucher sur des catastrophes en chaîne dans la région du Caucase”. “Il est urgent, conclut le PCF, de venir en aide à la population tchétchène et d’autoriser l’OSCE, les organisations humanitaires à apporter tout leur concours, sans entraves.”

 

Kazandjian, Christian

l’Humanité
LE FEUILLETON DE L’ACTUALITÉ, vendredi 19 novembre 1999, p. 13

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