” Après deux mois de guerre totale contre la Tchétchénie, comment pourrait-on y mettre un terme ?
– Je pense que le moment est venu d’entamer une phase de négociations politiques. Les leaders tchétchènes se sont convaincus qu’ils ne pourront pas, par des moyens militaires, atteindre leurs objectifs, dont le premier d’entre eux l’indépendance de la Tchétchénie. Quant au gouvernement et à l’administration présidentielle, ils doivent changer les priorités et insister sur une solution politique. C’est en réalité ce qu’ils recherchent avant tout. Nous en avons parlé avec Alexandre Volochine [chef de l’administration présidentielle], Valentin Ioumachev [conseiller de Boris Eltsine], Vladimir Poutine [premier ministre]. J’ai trouvé une totale unanimité dans la manière d’aborder ce problème et le souhait de dégager une solution politique, sans laquelle il n’y aura pas de paix possible. J’ai longuement collaboré avec Boris Eltsine, je peux vous dire sans aucun doute possible que le président ne veut pas plus résoudre ce problème par la force. J’ai également rencontré Igor Ivanov [ministre des affaires étrangères] et lui aussi est parfaitement conscient que la solution ne peut être que politique.
– Maintenez-vous des contacts avec les chefs tchétchènes, en particulier avec Chamil Bassaev, dont l’incursion au Daghestan en août a officiellement motivé le déclenchement de la guerre ?
– Ces liens n’ont jamais été interrompus. Je n’ai pas eu l’occasion de parler à Bassaev ou Oudougov [un autre leader islamiste] directement par téléphone, mais ils m’ont récemment demandé de rencontrer leurs émissaires qui pouvaient m’expliquer en détail ce qui se passe en Tchétchénie. Je les ai vus. Leurs explications m’ont permis, pour partie, de formuler un plan de règlement du conflit en sept points. Mes propositions leur ont été adressées, mais je n’ai pas encore de réponse aujourd’hui.
– Ce plan est-il accepté par le premier ministre Poutine ?
– Je n’en ai pas discuté précisément avec lui, mais l’essentiel est qu’il recherche une solution politique. Quelles sont mes propositions ? La Tchétchénie est partie intégrante de la Russie, et la Constitution doit s’y appliquer. Ensuite, seule une décision politique acceptée par l’immense majorité du peuple tchétchène peut être prise. Les groupes armés doivent se dissoudre volontairement. Leurs commandants doivent quitter le territoire tchétchène sans que la Russie pose d’obstacles à ces départs. Il faut donner à ces personnes qui luttent pour leur survie la possibilité de se réfugier dans des pays prêts à les accueillir. Plusieurs pays, dont des Etats arabes, ont soutenu l’idée de l’indépendance tchétchène : qu’ils accueillent donc, pour éviter de nouvelles victimes civiles, ceux qui ont mené une lutte armée contre le pouvoir russe. Enfin, les terroristes doivent être jugés selon les normes du droit international. Tout cela peut se faire immédiatement.
– Faut-il négocier avec le président tchétchène Aslan Maskhadov, dont Moscou récuse désormais la légitimité, et comment donc un leader tchétchène accepterait-il de renoncer à l’indépendance ?
– Sur la base de mes propositions, si les commandants les plus extrémistes quittent la République, alors demeurera cette partie de la société tchétchène qui est prête à une solution politique. Je pense que M. Maskhadov est aujourd’hui encore un président légal. Mais un fait ne peut être nié : il ne contrôle pas réellement la situation. Il peut être un des participants aux négociations. Mais pas lui seul. La diaspora tchétchène qui vit en Russie vient de créer un comité de coordination. Je pense que ces forces pourront progressivement fournir une réponse politique.
– Vladimir Poutine peut-il être le négociateur, lui qui a construit toute sa popularité en se montrant un fervent partisan de cette guerre ?
– Poutine n’est pas un guerrier. Il a fait simplement acte de volonté – à la différence de tous ses prédécesseurs – en décidant que le problème tchétchène ne pouvait plus être différé, qu’il devait être résolu. Et il a raison. Les thèses comme quoi les militaires dictent leur loi en Tchétchénie sont parfaitement imaginaires. L’armée est subordonnée au gouvernement et le demeurera. Menacer de démissionner, comme l’a fait un général, ce n’est pas se révolter contre le pouvoir. Poutine jouit du soutien complet de la population et je répète qu’il est à la recherche d’une solution politique.
– Que répondez-vous à ceux qui évoquent vos rencontres, cet été à Biarritz et près du cap d’Antibes, avec des émissaires tchétchènes, et votre rôle dans les incursions de combattants au Daghestan ? Les commandants tchétchènes doivent quitter le territoire
– Ces affirmations faites par mes ennemis sont des mensonges. Ces rencontres n’ont jamais eu lieu.
– N’avez-vous pas versé des millions de dollars à différents chefs de guerre tchétchènes ?
– C’est également un mensonge. Je n’ai jamais nié le fait d’avoir donné de l’argent à Chamil Bassaev pour la reconstruction de la Tchétchénie. Il était alors premier vice- président, Maskhadov était parfaitement au courant. Cet argent a servi à réparer une usine de ciment et à reconstruire des écoles. J’ai versé en tout 2 millions de dollars, en deux fois, puis 500 000 dollars pour payer les soins médicaux d’enfants et de femmes.
– Le paiement de rançons pour des libérations d’otages n’a-t-il pas servi à financer les groupes armés ?
– Je n’ai jamais payé pour la libération d’otages, personne n’a jamais prouvé ces accusations. En fait, j’ai effectué le paiement d’une seule rançon – et je ne l’ai pas caché – à la demande du patron du groupe Media-Most, Vladimir Goussinski [par ailleurs principal adversaire de Boris Berezovski – NDLR], qui a racheté un journaliste de NTV et ses camarades.
– Attribuez-vous, comme le fait le gouvernement russe, les attentats de Moscou (293 morts) à Chamil Bassaev ou à d’autres groupes tchétchènes.
– De telles accusations doivent être prouvées. Aujourd’hui, je n’ai pas de preuves, je n’ai aucun fait qui puisse confirmer cela, et je ne peux donc pas accuser Bassaev ou qui que ce soit d’autre d’avoir commis ces actes terroristes.
– Vous n’étiez pas au courant de l’organisation de ces attentats, comme certains journaux russes l’ont affirmé ?
– Bien sûr que non !
– Vladimir Poutine demeure-t-il pour vous le meilleur successeur possible au président Eltsine ?
– Il est le meilleur des prétendants au fauteuil présidentiel. Il comprend les réalités, le monde moderne, il a de la volonté, aime le concret et ne fait pas de populisme. ”
BONNET FRANCOIS; DUPARC AGATHE
Le Monde
jeudi 18 novembre 1999, p. 2