OSCE. Moscou cherche à éviter un débat sur la Tchétchénie au sommet d’Istanbul. Le chef d’État russe a décidé d’aller soutenir lui-même l’opération militaire en Tchétchénie au sommet de l’OSCE. Les Occidentaux exigent que la Russie cesse son intervention et prônent une solution négociée du conflit.

Vladimir Poutine est un homme à demi comblé. La guerre menée en Tchétchénie sert sa popularité et sa carrière puisqu’il est crédité dans les sondages de 25 % des intentions de vote, loin devant Guennadi Ziouganov qui est crédité de 8 %. Soutenu par Eltsine, qui a affirmé sans rire que Poutine “a pris du poids non seulement sur le plan de la politique intérieure, mais aussi sur la scène internationale”, et par l’armée, Vladimir Poutine est bien parti dans la campagne présidentielle qui doit avoir lieu en juin 2000. En revanche, il a été privé de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Ainsi en a décidé Boris Eltsine, qui a annoncé qu’il irait défendre en personne l’opération militaire dans cette petite république fédérée du Caucase.

Créant la surprise, le président russe, à la santé précaire, ne veut sans doute pas que son protégé Poutine lui vole la vedette à Istanbul. En décidant de s’y rendre en personne, il entend montrer qu’il demeure le chef du Kremlin. Face à un parterre de journalistes, Boris Eltsine, quasi absent de la scène politique, laissant la conduite des affaires à Vladimir Poutine, a haussé le ton à l’égard des Occidentaux qui, d’après lui, “n’ont pas le droit d’accuser la Russie d’éliminer les bandits, les coupeurs de têtes et les terroristes sur son territoire. Nous n’arrêterons pas tant qu’il restera un terroriste sur notre territoire”. En clair, les militaires russes ont carte blanche pour poursuivre leurs bombardements sur la Tchétchénie qui, jusque-là, ont fait plus de victimes civiles que produit des pertes parmi les combattants tchétchènes. À sa suite, le chef de la diplomatie russe Igor Ivanov a mis en garde l’OSCE d’aborder le conflit tchétchène à Istanbul. “Je rappelle que la Tchétchénie est une affaire intérieure russe, il ne faut pas que quelqu’un joue la carte tchéchène contre nous”, a-t-il prévenu lors d’une rencontre avec les ambassadeurs des pays du G7 à Moscou.

La question de la Tchétchénie risque de dominer les débats à Istanbul.Et l’on voit mal comment Moscou pourra l’éviter, alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour condamner l’opération militaire russe. L’OSCE, d’abord, a indiqué lundi à Oslo qu’elle compte demander à Moscou de fournir un “calendrier précis de retrait de ses troupes” de Tchétchénie. Le même jour, à Bruxelles, les chefs de la diplomatie de l’Union européenne (UE) ont condamné “toute utilisation disproportionnée et non discriminante de la force” contre la population civile, et insisté sur la nécessité d’un règlement négocié du conflit. Pour eux, contre l’avis de Moscou, le sommet d’Istanbul “constituera une opportunité de discuter de la question” avant d’ajouter que la recherche d’une solution militaire par Moscou serait “une erreur politique majeure”. De même que l’UE a demandé à la Russie l’ouverture d’une antenne du groupe d’aide de l’OSCE à Nazran, en Ingouchie, ainsi que son engagement à jouer son rôle dans l’effort humanitaire, et cela après avoir pris note des évaluations des besoins réalisées par les missions du Haut Commissariat de l’ONU aux réfugiés. Le président Clinton est également intervenu dans le même sens. Tandis que son secrétaire d’État à la Défense, William Cohen, a rejeté les accusations russes selon lesquelles les États-Unis s’efforceraient d'”affaiblir la Russie”, en réponse aux propos du ministre de la Défense russe, Igor Sergueïev, qui a assuré vendredi que Washington chercherait à évincer Moscou du Causase, de la mer Caspienne et de l’Asie centrale.

Pour sa part, Hubert Vedrine, ministre des Affaires étrangères, n’écarte pas une ouverture de Moscou sur ce dossier brûlant. “Je n’écarte pas l’hypothèse que les dirigeants russes modifient leur position, même si le calendrier ne s’y prête pas.” Pour autant, le ministre français n’a pas omis de noter que l’intervention russe est en contravention avec les dispositions du traité sur les forces conventionnelles en Europe (CFE), en estimant que “la concentration de troupes russes en Tchétchénie enfreint certains plafonds du traité”. Une chose est sûre: Boris Eltsine aura du mal à défendre la position russe. Et rien ne permet de dire que la rencontre prévue avec Bill Clinton puisse apporter un début de solution. D’autant que l’Occident n’est pas disposé à user de l’arme financière, par suspension des crédits promis par le FMI, pour faire céder Moscou, par crainte d’une réaction négative du Kremlin. D’ailleurs c’est avec une assurance tranquille qu’Igor Ivanov a averti dans le Financial Times que si le point de vue de la Russie n’est pas pris en compte, “il serait alors peut- être préférable de prendre son temps et d’attendre des jours meilleurs”. Dès lors, nombreux sont ceux qui pensent que l’intransigeance de Moscou sur ce dossier brûlant risque de compromettre l’examen de la version révisée du traité sur les forces conventionnelles par le sommet de l’OSCE à Istanbul.

Hassane Zerrouky

l’Humanité
LE FEUILLETON DE L’ACTUALITÉ, mercredi 17 novembre 1999, p. 7

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