À UNE SEMAINE de la tenue, à Istanbul, du sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’offensive russe en Tchétchénie est de plus en plus plus critiquée par les pays occidentaux, dont les Etats-Unis et la France.
Lors de la séance de questions des députés de l’Assemblée nationale au gouvernement, mardi 9 novembre, le ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine, a déclaré que ” la Russie se fourvoie dans cette aventure “. Moscou ” d’une façon ou d’une autre doit reconnaître qu’il y a un problème tchétchène (…) qui dépasse de loin la question du terrorisme (…) et que ce problème tchétchène doit être abordé sur une base politique “, a-t-il dit.
Le chef de la diplomatie française a précisé qu’il avait fait part ” sans ambiguïté ” de la position de la France à son homologue russe, Igor Ivanov. Il a ajouté que la Russie allait se retrouver lors du prochain sommet de l’OSCE ” au centre (…) d’une pression de l’ensemble des pays qui veulent qu’une autre solution d’une autre nature soit trouvée en Tchétchénie “. ” Le droit de la Russie à sauvegarder son intégrité territoriale et à lutter contre le terrorisme ” ne justifie pas l’escalade à laquelle procèdent les autorités russes en Tchétchénie, et ” il est intolérable de voir ces victimes civiles frappées par une intervention militaire à grande échelle “, a-t-il continué.
Par ailleurs, le ministre des affaires étrangères tchétchène, Ilias Akhmadov, reçu mardi par un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay, a expliqué dans un entretien au Figaro que la Russie allait ” sans doute ” perdre ce nouvel affrontement en Tchétchénie. Selon lui, c’est simplement une ” question de temps et de quantité de sang. Sans un processus de paix initié par la communauté internationale, les Russes ne quitteront la Tchétchénie que lorsqu’ils seront étouffés par leur propre sang “.
” SOLUTION POLITIQUE ”
A Washington, le président américain, Bill Clinton a déclaré, mardi, que les Etats-Unis ” continueraient à faire pression pour réduire au maximum les pertes civiles et augmenter au maximum le recours à la négociation “. ” En fin de compte, il faudra trouver une solution politique et j’espère que la fin du conflit interviendra le plus tôt possible pour qu’il y ait le plus petit nombre possible de morts “, a-t- il ajouté.
Le même jour, le premier ministre russe, Vladimir Poutine avait rejeté une première salve de critiques américaines : ” Nous sommes aux prises avec des groupes armés qui sont bien équipés, bien entraînés et financés par l’étranger, a-t-il dit . Nos actions sont totalement appropriées au regard de la menace qui pèse sur la Russie. ” Insensible aux voix occidentales, Moscou a donc poursuivi ses bombardements sur la petite république indépendantiste.
Malgré une mauvaise visibilité due aux premières neiges sur le Caucase du Nord, les Russes ont effectué plus de 20 sorties aériennes mardi, visant notamment les environs de Grozny, Argoun, Gourdermès (est de Grozny) et d’Ourous-Martan (sud-ouest), selon le ministère de la défense. Quatre missiles sol-sol ont également été tirés en direction de la Tchétchénie à partir de la base russe de Kartsa (Ossétie du Nord).
Enfin, resserrant l’étau autour de tout le Caucase du Nord, Moscou a décidé, mardi, d’interdire l’importation de biens de consommations vers la Tchétchénie et d’interrompre les liaisons aériennes entre plusieurs grandes villes de la région et une dizaine de pays musulmans afin d’empêcher l’arrivée en Russie de ” terroristes ” islamistes internationaux.
Les vols sont également suspendus avec la Géorgie, qui a récemment refusé aux Russes le transit de troupes par son territoire. La Géorgie possède une frontière avec la Tchétchénie, seul point de passage resté ouvert aux réfugiés tchétchènes, et a déjà accueilli 2 000 personnes, mais l’accès à cette route, bombardée en permanence par l’aviation russe, sera bientôt entravé par les intempéries. L’autre point de passage des réfugiés, à la frontière entre l’Ingouchie (Fédération de Russie) et la Tchétchénie, réouvert partiellement, a vu passer 20 000 réfugiés depuis le 3 novembre selon le porte parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Kris Janovski. Ce dernier s’est dit, mardi, ” gravement préoccupé par l’ampleur de la crise humanitaire et par le nombre croissant de victimes civiles ” du conflit. Au total, près de 200 000 Tchétchènes ont fui depuis l’intervention des forces fédérales russes. Le dixième d’entre eux vivent en Ingouchie dans des wagons ou dans des camps de tentes. – (AFP.)
Le Monde
jeudi 11 novembre 1999, p. 5