L ‘UN reste le partenaire des Occidentaux : ” notre ami Boris Nikolaïevitch “, disait Jacques Chirac il n’y a pas si longtemps à Paris; l’autre, Slobodan Milosevic, qualifié de ” tyran ” et de ” dictateur ” par Jacques Chirac, est considéré à Washington comme un chef d’Etat paria. Le premier, le président Boris Eltsine, a, pourtant, fait tuer plus de civils tchétchènes que le second n’a fait massacrer de Kosovars. Le chef de l’Etat russe est en passe de perpétrer en Tchétchénie une opération d’épuration ethnique qui dépassera vite la ” performance ” en la matière du président yougoslave au Kosovo.

Ce jeudi 4 novembre marque le deuxième mois des bombardements ininterrompus que les Russes mènent contre la Tchétchénie, très exactement contre la population civile de cette petite république du Caucase. Membre de la Fédération de Russie, la Tchétchénie a bien des torts – centre d’activités criminelles et terroristes, enlèvements, trafic de drogues et d’armes, refuge d’extrémistes islamistes -, mais d’abord, aux yeux de Moscou, celui de résister à la domination russe. Depuis le début de septembre, les civils tchétchènes meurent chaque jour par dizaines – par centaines, selon certaines sources -, sous le feu de l’aviation et de l’artillerie russes. Elles pilonnent aveuglément, avec un objectif : tuer, détruire, terroriser, vider la République de ses habitants, les empêcher de revenir en la transformant en champ de ruines. Avec succès : plus de la moitié des Tchétchènes auraient fui leur pays. La Russie pratique à grande échelle ce qu’on appelait du terrorisme d’Etat quand les mêmes méthodes étaient employées par les Serbes en Bosnie ou au Kosovo. Avec une différence : la Russie a reçu un quasi-feu vert des Occidentaux, qui ont fait la guerre à la Serbie…

La comparaison a ses limites. Les Occidentaux, pour d’évidentes raisons, ne peuvent agir face à la Russie comme ils l’ont fait, avec justesse, face à la Serbie. Le ” possible “, autant que la morale, est une dimension du politique. Mais, pour autant, les Occidentaux commettent une faute majeure en laissant faire les Russes en Tchétchénie. Ce n’est pas là le point de vue de quelques belles âmes cherchant à Paris à se donner bonne conscience, au fil d’un éditorial ou d’une pétition. La guerre en Tchétchénie risque d’embraser tout le Caucase; elle pousse toute une génération de Tchétchènes dans les mains d’organisations extrémistes; l’occupation militaire de la Tchétchénie suscitera une interminable guerre de partisans.

C’est l’argumentaire développé, avec raison, dans une lettre adressée au président Clinton par d’ex- hauts responsables américains, du département d’Etat, de la CIA et du Pentagone, républicains et démocrates, des gens de la real- politik, pas des poètes. Un désastre s’annonce au Caucase. Les Russes ne seront sensibles qu’aux pressions. Il ne faut pas que le Kremlin puisse continuer à siéger tranquillement au Conseil de l’Europe, compter sans cesse sur l’aide du FMI (une prochaine tranche dans quelques semaines) tant qu’il fait aveuglément bombarder les populations civiles de Tchétchénie. C’est une exigence minimale.

EDITORIAL

Le Monde
vendredi 5 novembre 1999, p. 17

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