64 soldats russes auraient été tués dans les affrontements.

Moscou de notre correspondante – L’opération russe en Tchétchénie, censée ne pas répéter la tragédie du premier conflit de 1994-96, est en train de basculer dans la guerre. De violents combats auraient opposé ce week-end les deux parties, faisant des dizaines de morts. La situation militaire exacte restait toutefois obscure en raison d’un blocus de l’information. Selon des responsables tchétchènes interrogés par l’AFP, les forces russes ont enregistré de lourdes pertes durant le week-end. Dans les deux districts du nord de la Tchétchénie (Naourskaïa et Chelkovskaïa) où les Russes affirment être entrés sans problème, 64 soldats auraient été tués dans des affrontements. Les Tchétchènes n’ont reconnu que 3 morts et 4 blessés de leur côté. La veille, des premiers heurts avaient déjà fait dix morts côté russe. Toujours selon Grozny, les “fédéraux” ont bombardé samedi le centre d’Ourous-Martan, la troisième ville de Tchétchénie, tuant cinq civils. Hier matin, ils pilonnaient des positions tchétchènes dans le village de Bamout, à l’ouest de la petite république indépendantiste.

Les Russes n’ont pas soufflé mot hier de ces combats. Il était d’ailleurs impossible de les confirmer de source indépendante. L’armée tient à distance les journalistes, y compris russes. Les envoyés spéciaux des télés filment toujours les mêmes campements militaires, batteries d’artillerie ou colonnes de blindés sur les routes. Les soldats ont interdiction de parler à la presse, l’information étant désormais centralisée. “Les officiers nous répondent qu’il faut s’adresser à l’état- major à Mozdok, à 300 km d’ici, pour avoir la réponse à nos questions, se plaignait hier un envoyé spécial de la chaîne NTV à la frontière entre la Daguestan et la Tchétchénie; la moitié des informations dont nous disposons sont des rumeurs. Ce quasi-silence confirme qu’une opération est bien en cours.” Après avoir entretenu le mystère, un responsable militaire a reconnu samedi que les troupes russes avaient pénétré en Tchétchénie. D’après Grozny, les “fédéraux” occupent désormais une large zone au nord de la république, longeant le fleuve Terek. C’est l’une des rares régions relativement plates de la Tchétchénie, où les blindés peuvent pénétrer plus facilement que dans les zones de montagne. “L’armée prend des positions intéressantes sur le plan tactique et empêche l’infiltration des terroristes”, dans les républiques voisines, a expliqué le général Valeri Manilov à la télévision. Ce dernier a démenti qu’une offensive massive soit imminente et a rappelé l’objectif officiel de Moscou: établir un “cordon sanitaire” autour de la Tchétchénie afin d’enserrer les “terroristes” et à terme de les “liquider”. D’après Moscou, l’armée et les troupes du ministère de l’Intérieur ont achevé de mettre en place la zone de sécurité autour de la Tchétchénie où les militaires occupent des hauteurs stratégiques. Pour la première fois samedi, des troupes sont passées d’Ingouchie en Tchétchénie (ouest), tandis que du côté du Daguestan (est), les militaires affirmaient ne pas tenir compte de la frontière administrative pour leur déploiement.

Simultanément, des renforts ont continué d’arriver de tout le pays. Pour les analystes, c’est bien la preuve du lancement d’une offensive. “L’opération va commencer ces jours- ci”, titrait samedi le quotidien Izvestia. Après avoir prédit l’occupation du nord de la Tchétchénie, le journal soulignait que “les fronts de l’est et de l’ouest seraient beaucoup plus difficiles pour les Russes, car le terrain accidenté est propice à une guerre de maquis”. Sur le plan politique, l’initiative du Premier ministre Vladimir Poutine de créer un pouvoir fantoche à Grozny a été accueilli par une volée de bois vert. Les commentateurs rappelaient que la méthode avait déjà été employée lors du premier conflit et que le résultat avait été désastreux. “On attendait les propositions de règlement politique de Poutine: il a choisi la pire, écrit le quotidien Nezavisimaïa Gazeta, le Parlement que Moscou reconnaît désormais comme seul pouvoir légitime a été élu en juin 1996 lors de simulacre d’élections.” Mais le Premier ministre a plusieurs fois promis que Moscou ne répéterait pas les erreurs passées, épargnant notamment la vie “de nos garçons”. Sur les victimes tchétchènes, il n’a dit mot. Officiellement, Moscou ne vise que les “bases terroristes” et les infrastructures utilisées par les “bandits”. Selon Grozny, les bombardements ont déjà fait plus de 600 morts. Quelque 110 000 Tchétchènes se sont par ailleurs réfugiés en Ingouchie.

SOULE Véronique

Libération
MONDE, lundi 4 octobre 1999

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