Moscou veut le renversement du gouvernement à Grozny.

Plusieurs milliers de soldats russes se sont emparés hier de plusieurs villages dans le nord de la Tchétchénie alors que Moscou encourageait la création d’un pouvoir en exil pour venir à bout de la république rebelle.

Pour la première fois depuis la guerre (décembre 1994 – août 1996), les forces russes massées depuis plusieurs semaines aux frontières administratives de la Tchétchénie ont pénétré à 20 kilomètres à l’intérieur de ce territoire pour s’y déployer. Les Tchétchènes n’ont opposé aucune résistance.

Dans le même temps, le premier ministre russe Vladimir Poutine a annoncé qu’il ne reconnaissait plus la légitimité du président tchétchène, Aslan Maskhadov, et lui préférait un Parlement tchétchène en exil, élu dans des élections considérées comme une farce, en 1996, et qui n’avait jamais fait parler de lui jusqu’à aujourd’hui.

De son côté, l’aviation russe a repris ses raids. Au cours des dernières 24 heures, plus de 20 attaques aériennes ont été menées, a annoncé l’armée russe. Face à cette campagne de bombardements, les civils tchétchènes poursuivent leur exode en direction de l’Ingouchie voisine.

L’armée russe s’est donc emparée de cinq villages dans le district tchétchène de Naourskaïa (nord), dont les habitants se sont enfuis, a indiqué le responsable de l’administration locale, Taous Bagouraev. Dix Russes ont été tués lors des premiers combats entre forces russes et tchétchènes, selon Grozny. Les lignes de défense tchétchènes se trouvent à quelques kilomètres de là et des affrontements sont à craindre dans les heures qui viennent, a-t-il averti.

À son avis, près de 10 000 militaires russes ont déjà pris position dans le district de Naourskaïa, avec des centaines de chars et de blindés légers. Ces unités, venant du Daguestan et de la région de Stavropol (sud de la Russie), ont pénétré à l’intérieur de la Tchétchénie jeudi soir et se sont déployées sur quelque 80 kilomètres de front dans les districts de Naourskaïa et Chelkovskaïa, selon le responsable. Des officiers russes dans la région de Stavropol ont confirmé sous couvert de l’anonymat l’entrée de ces unités en Tchétchénie.

«Nous allons prendre le contrôle total de ces deux districts dans les jours qui viennent», ont-ils dit.

Le déploiement de ces troupes correspond au plan de Moscou d’établir un «cordon sanitaire» autour de la république, avec une bande de sécurité à l’intérieur même de son territoire, à la suite des attentats qui ont fait 293 morts en Russie depuis le 31 août et de la rébellion d’islamistes venus de Tchétchénie au Daguestan en août et septembre. Selon la presse, ce cordon pourrait s’étendre jusqu’à la rivière Terek qui se trouve à environ 50 kilomètres de la frontière nord de la Tchétchénie.

La présidence tchétchène a également indiqué que des blindés russes venant d’Ossétie du Nord avaient fait une brève incursion dans une autre région, celle de Bamout (sud-ouest).

La télévision russe NTV a en outre affirmé que des soldats russes étaient entrés dans l’est de la Tchétchénie, via le Daguestan, occupant trois villages, une information que Grozny n’a pas confirmée. Si ce cordon n’était pas suffisant pour protéger la Russie des «terroristes» tchétchènes, Moscou n’a pas exclu une opération terrestre à plus grande échelle.

Révélant un nouvel aspect de la lutte contre la Tchétchénie, le premier ministre russe a déclaré que «tous les organes du pouvoir en Tchétchénie étaient illégitimes, car élus en dehors des lois russes. Le seul organe légitime du pouvoir en Tchétchénie» est le Parlement élu en 1996 et actuellement en exil, a estimé M. Poutine à l’issue d’une rencontre avec des députés de cette assemblée. Ces derniers ont annoncé leur intention de former un gouvernement en exil.

Moscou avait utilisé la même tactique juste avant la guerre en Tchétchénie, suscitant sans grand succès l’émergence d’un pouvoir hostile aux indépendantistes.

M. Poutine a estimé que les «réfugiés tchétchènes avaient voté avec leurs pieds en se sauvant vers la Russie». Ces réfugiés – plus de 88 000 hier en Ingouchie – ont quitté en masse le territoire indépendantiste lorsque Moscou a commencé à bombarder Grozny, il y a une semaine.

Selon un bilan des autorités tchétchènes, 590 personnes ont été tuées et plus de 3000 blessées depuis le début des frappes le 5 septembre.

Les États-Unis ont appelé hier la Russie à faire preuve de retenue en Tchétchénie, mettant en garde contre une répétition de la «désastreuse» guerre de Tchétchénie et appelant au dialogue. «Nous continuons de penser que toute reprise des hostilités générales en Tchétchénie ferait du tort aux intérêts propres de la Russie et menacerait davantage la stabilité dans la région du Nord-Caucase tout entière», a déclaré le porte-parole du département d’État américain, James Rubin.

Le Devoir
Les Actualités, samedi 2 octobre 1999, p. A1

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