L’armée concentre des forces et bombarde la République indépendantiste.A Moscou, les enquêtes sur les attentats semblent progresser, tandis que la ” chasse au faciès ” continue contre les Caucasiens.

MOSCOU DE NOTRE CORRESPONDANT – Plusieurs sources militaires ont annoncé, vendredi 17 septembre, que le ministère de la défense russe se tenait prêt à engager ” une opération à grande échelle ” contre les ” bandits ” sur le territoire de la Tchétchénie. Une grande partie de la classe politique russe réclame des mesures d’urgence pour normaliser la situation dans le Caucase du Nord, considéré comme le foyer des attentats qui ont frappé le pays. ” L’embrasement de la situation (…) doit être stoppé par l’usage de la force “, a notamment déclaré le maire de Moscou, Iouri Loujkov. La police russe a par ailleurs affirmé, vendredi, avoir identifié le ” cerveau ” du groupe de terroristes à l’origine des explosions de deux immeubles qui ont fait 210 morts au total à Moscou les 9 et 13 septembre. L’homme désigné, Atchémez Gotchiïev, est un Caucasien adepte, selon les enquêteurs, du wahhabisme, le mouvement radical islamiste dont se réclament les rebelles qui ont ouvert l’offensive contre le Daghestan au mois d’août.

La Russie se préparait, samedi 18 septembre, à déclencher une offensive militaire terrestre sur le territoire de la Tchétchénie. Depuis le 5 septembre déjà, l’aviation russe a bombardé presque chaque jour les régions de la république indépendantiste proches du Daghestan, où les combats se poursuivent d’ailleurs toujours entre les troupes fédérales et les islamistes wahhabites. Selon Grozny, ces attaques aériennes ont déjà causé plus de deux cents morts dans la population civile, et vingt mille réfugiés.

Vendredi, plusieurs agences de presse russes, Interfax, l’agence officielle RIA-Novosti et l’agence d’informations militaires AVI, ont annoncé que le ministère de la défense se tenait prêt à engager ” une opération à grande échelle pour détruire les bandits sur le territoire de la Tchétchénie “, et qu’il ne manquait qu’un feu vert politique.

Depuis le début de la vague des attentats terroristes, qui a fait 292 morts, Moscou dénonce la Tchétchénie comme la base arrière des forces islamistes de Chamil Bassaïev et du ” commandant ” Khattab. Vendredi, le ministère de l’intérieur a même assuré avoir la preuve qu’une unité de trois cents soldats, directement subordonnée au président tchétchène Aslan Maskhadov, avait été impliquée dans les combats au Daghestan. Le régime de Grozny a aussitôt démenti.

Ces derniers jours, Moscou a concentré des troupes au Daghestan, le long de la frontière tchétchène. Selon des responsables de l’état- major, cités par ces agences, 2 500 parachutistes, près de 1 500 soldats des flottes du nord et de la mer baltique, un régiment d’hélicoptères de Mourmansk ont déjà été déployés. Des troupes des flottes de la mer Noire et du Pacifique doivent aussi être envoyées dans la région, tout comme des blindés, des forces aériennes et de l’artillerie. Parrallèlement, les troupes du ministère de l’intérieur sont également renforcées avec des unités qui ” viennent de tout le pays “.

INTERVENTION ? ” Personne ne veut balayer Grozny, mais les bases terroristes doivent être détruites “, a déclaré un responsable de l’état- major, qui souligne que le moral des troupes est ” élevé ” et que la population russe soutient l’armée pour en finir avec les terroristes. Jeudi, Maïarbek Vatchagaev, représentant officiel de la Tchétchénie à Moscou, expliquait qu’une ” attaque terrestre peut arriver à tout moment et une première opération avait même été programmée pour le 15 septembre “. ” Les Russes s’apprêtent à annexer les régions de Naourskii et de Tchelkovski ” (au nord-est de la Tchétchénie), ajoutait-il.

Le gouvernement russe a, vendredi, pratiquement obtenu un feu vert de l’ensemble de la classe politique pour engager une telle guerre terrestre. ” Les bases de combattants en Tchétchénie continueront à être frappées, les groupes de bandits doivent être anéantis où qu’ils se trouvent “, a assuré Vladimir Poutine lors d’un débat au Conseil de la fédération (chambre haute du Parlement).

Le premier ministre a pu se féliciter du soutien des parlementaires qui ont adopté une résolution demandant des mesures d’urgence. Les accords de paix de Khassaviourt, mettant fin à la guerre russo- tchétchène de 1994-96, et que M. Poutine a qualifié d’ ” erreur “, ” ont infligé d’énormes dommages à la sécurité du pays “, dit ce texte. Au passage, les sénateurs s’en prennent à Boris Eltsine, qui a ” échoué à prévenir un conflit armé ” et ” n’a pas assuré un fonctionnement correct des agences d’Etat “.

Ce texte, critique envers le président russe mais appelant aux mesures les plus extrêmes, porte la marque du maire de Moscou, Iouri Loujkov. Ce dernier a d’ailleurs répété, vendredi, que ” l’embrasement de la situation dans le Caucase du nord et le développement du terrorisme doivent être stoppés par la force “. Les communistes appellent également ” à détruire les foyers rebelles ” et l’ancien premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, ” n’exclut pas ” la possibilité d’intervenir en Tchétchénie.

FOUILLES ET CONTRÔLES

Parallèlement à ces menaces de guerre, les enquêtes sur les attentats commis depuis le 31 août semblent progresser et les éléments rendus publics désignent les forces islamistes engagées au Daghestan. La police estime avoir identifié l’un des principaux organisateurs des attentats de Moscou, un homme originaire du Caucase et militant wahhabite. Une douzaine d’autres suspects seraient identifiés. Selon la télévision NTV, les attentats auraient été organisés par le même groupe, formé dans une école islamique du Tatarstan (république russe à majorité musulmane) puis envoyé dans un centre d’entraînement du ” commandant ” Khattab, en Tchétchénie. A Moscou, fouilles et contrôles se poursuivent. Les enquêteurs insistent sur la logistique et le professionnalisme des terroristes. Des tonnes d’explosifs ont dû être convoyées par camions, des locaux ont été loués plusieurs semaines avant les attentats, du matériel de mise à feu sophistiqué à été utilisé. Le FSB (ex- KGB) estime, par exemple, que la bombe qui a explosé, jeudi, au pied d’un immeuble à Volgodonsk, tuant dix-sept personnes, avait une puissance équivalente à au moins 850 kilos de TNT.

BONNET FRANCOIS

Le Monde
lundi 20 septembre 1999, p. 5

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