” Héros ” du conflit tchétchène de 1995, le redoutable stratège a déclaré la ” guerre sainte ” aux Russes, cette fois-ci pour obtenir l’indépendance du Daguestan.

Confrontée depuis dix jours au Daguestan à une attaque de rebelles islamistes venus de Tchétchénie, Moscou retrouve à leur tête son vieil ennemi Chamil Bassaïev. Ce dernier s’est rendu célèbre en juin 1995, lors de la guerre russo-tchétchène. A la tête d’un commando, il prend en otage un hôpital entier à Boudennovsk, à 150 km en plein territoire russe. Après deux assauts désastreux au cours desquels les troupes russes tirent sur les otages, le Kremlin doit négocier. Les caméras du monde entier filment ce jeune guérillero, barbu, les yeux clairs, en train de parlementer au téléphone avec le premier ministre russe en personne. Le commandant Bassaïev, qui sait utiliser les médias, assure aux journalistes faire la guerre pour venger la mort de onze membres de sa famille, tués par un raid aérien russe sur son village. Sous les flashes, Bassaïev et ses hommes rentreront en héros en Tchétchénie, après avoir demandé ” pardon ” aux otages, qui embrassent leurs ravisseurs.

Chamil Bassaïev est né en 1965 à Vedeno, en Tchétchénie, près de la frontière avec le Daguestan. Le Caucase est une terre de clans et de vendettas, où presque chaque homme porte une arme, où les valeurs guerrières sont exaltées. Incontrôlable, la région n’a jamais cessé de se révolter, contre les tsars, Lénine, Staline et enfin contre Boris Eltsine. Au siècle dernier, un dénommé Chamil a bravé les armées russes pendant une trentaine d’années.

En novembre 1991, le jeune Chamil Bassaïev détourne un avion russe pour protester contre l’envoi de troupes en Tchétchénie. Deux ans plus tard, il commande les Tchétchènes venus soutenir la sécession des Abkhazes contre la Géorgie. Pour les débouchés de ses trafics, la mafia tchétchène a en effet besoin d’une Abkhazie indépendante… En décembre 1994, Boris Elstine décide de soumettre la Tchétchénie indépendantiste. Erreur fatale. Plus de soldats russes périront dans le Caucase en vingt et un mois qu’en dix ans de conflit afghan. En boutant les Russes hors de Grozny, la capitale tchétchène, début août 1996, Bassaïev signe la victoire finale. Humilié, le président Elstine doit négocier avec les ” bandits “.

En deux ans, 400 personnes enlevées par des chefs de clans

Vainqueur de la guerre, Bassaïev sera le grand perdant de la paix. En janvier 1997, il est battu à l’élection présidentielle tchétchène par le modéré Aslan Maskhadov. Un an plus tard, Bassaïev est nommé premier ministre. Poste dont il démissionne avec fracas au bout de six mois, accusant Maskhadov de ” trahison ” au profit de Moscou, et lui promettant le ” tribunal islamique “.

Les exactions des troupes russes rendaient la résistance tchétchène plutôt sympathique aux yeux de l’Occident. Mais les résistants se sont vite avérés être des islamistes et des mafieux. La région est une plaque tournante pour les trafics d’armes, de drogue, de pétrole, de caviar… et d’otages. Le rapt y est devenu une véritable industrie : en deux ans, 400 personnes ont été enlevés par des chefs de clans, qui bénéficient souvent de la complicité active de Bassaïev.

Le chef de guerre qui, jadis, ne dédaignait pas un verre de vodka taille désormais sa barbe ” à l’afghane “. Il utilise à son profit l’islamisme, ses dollars saoudiens et ses volontaires venus de pays musulmans, pour conquérir le Daguestan, ses puits de pétrole et son accès à la mer Caspienne qui désenclaverait la Tchétchénie. Et peu lui importe que les habitants du Daguestan soient très majoritairement hostiles à la rupture de leurs liens avec Moscou et au fondamentalisme.

La ” guerre sainte ” des islamistes se poursuit au Daguestan

Moscou a lancé vendredi une vaste offensive pour tenter de déloger du Daguestan 2 000 rebelles islamistes. Venus de la Tchétchénie voisine, ils occupent plusieurs villages dans les montagnes du sud-ouest de cette République membre de la fédération de Russie. Une soixantaine de rebelles, commandés par le frère de Chamil Bassaïev, Chirvani, auraient été ensevelis par une chute de pierres lors d’une embuscade daguestanaise samedi soir. Venus en renforts de Tchétchénie, vingt et un autres auraient été tués la même nuit par les troupes russes. Les combats se concentrent autour de deux villages sous contrôle russe et assaillis par les islamistes. Moscou a procédé à dix- neuf frappes aériennes contre les positions occupées par les rebelles, au Daguestan mais aussi en Tchétchénie qui parle de ” provocations ” et a instauré hier le couvre-feu. Depuis le début de l’offensive, le bilan côté russe s’élève à sept morts – dix-huit selon les islamistes. Si Moscou promettait samedi de vaincre les islamistes ” dans les deux jours “, les militaires russes semblent moins optimistes. Au Daguestan, les imams appellent la population à refuser le fondamentalisme professé par les rebelles, dont beaucoup sont des étrangers. Au moins 6 000 personnes ont été déplacées par les combats au Daguestan, selon le Haut- Commissariat pour les réfugiés de l’ONU.

GOUVERNEUR Cédric

La Croix
MONDE, lundi 16 août 1999, p. 7

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