MOSCOU DE NOTRE CORRESPONDANT – L’or noir de la mer Caspienne peut commencer à couler. Après des mois de négociations, succédant à vingt mois d’une guerre sans merci, la Russie et la Tchétchénie ont signé, mardi 9 septembre à Moscou, un accord sur le transit, d’ici à la fin de l’année, des 200 000 premières tonnes de pétrole azerbaïdjanais par l’oléoduc partant de Bakou (Azerbaïdjan) et aboutissant au port russe de Novorossiisk après avoir traversé la petite République séparatiste du sud de la Russie. Moscou doit verser, dans les cinq jours, 845 000 dollars pour ces 200 000 tonnes. Les travaux de réparation sur la partie tchétchène de l’oléoduc, endommagée pendant la guerre, pourront ensuite commencer. Le pétrole devrait être extrait des nouveaux gisements offshore en mer Caspienne à partir de novembre.

Valable jusqu’à la fin de l’année, l’accord, signé mardi au siège du gouvernement russe par le président de la compagnie pétrolière tchétchène, Iounko, et le ministre russe de l’énergie, Boris Nemtsov, est le fruit d’un fragile compromis. La question du statut de la Tchétchénie, qui revendique son indépendance après avoir réussi à chasser les troupes russes de son territoire, empoisonne les relations entre Moscou et Grozny. Alors que la Tchétchénie, détruite et saignée par la guerre, traverse une profonde crise économique, Moscou tente d’utiliser l’arme du pétrole pour ramener la petite république dans son giron.

Dans un premier temps, Moscou avait écrit dans le projet d’accord que la Tchétchénie était ” un des sujets de la Fédération de Russie “, ce qui avait totalement bloqué les négociations. Ensuite, la Russie a refusé de verser aux Tchétchènes plus que le ” tarif intérieur russe ” de 0,43 dollar par tonne. Arguant de ce que Moscou voulait ” rabaisser la Tchétchénie au rang d’une région russe “, les dirigeants tchétchènes ont fermement repoussé cette offre pour des raisons aussi politiques qu’économiques : ils comptent sur les revenus du transit pétrolier pour asseoir l’indépendance de leur république.

Le compromis atteint mardi permet de sauver la face des deux parties. Moscou, qui touche 15,67 dollars par tonne pour le transit du pétrole par son territoire, reversera à la Tchétchénie la somme globale de 854 000 dollars pour le passage de 200 000 tonnes, soit plus de 4 dollars par tonne, comme le réclamaient les Tchétchènes. Officiellement, cependant, Moscou ne versera que 0,43 dollar par tonne par l’intermédiaire de la compagnie d’Etat Transneft (oléoducs), le reste étant présenté comme un ” complément ” du budget fédéral russe ” pour la reconstruction et la surveillance ” de l’oléoduc. ” Personne ne pourra se faire d’illusions sur des conditions privilégiées soi-disant accordées à la Tchétchénie “, a insisté le ministre russe de l’énergie. Pourtant cet artifice ne trompe pas. Bien que non précisé, le montant des travaux, qui doivent être réalisés, dix jours durant, par des ouvriers russes sous protection des autorités tchétchènes, est très largement inférieur au ” complément ” versé par Moscou.

Signe de l’insatisfaction russe à propos de l’accord, Boris Nemtsov, qui est aussi l’un des deux ” premiers vice-premiers ministres “, a de nouveau menacé, juste après la signature, de construire un autre oléoduc contournant la Tchétchénie. Les ” experts ” russes estiment que ce projet est réalisable en un an pour un montant de 150 à 200 millions de dollars. Agitée tout au long des négociations, la menace de contournement de la Tchétchénie (dans un premier temps par un transport par barges sur la Caspienne ensuite par un nouvel oléoduc) n’a pas impressionné les Tchétchènes. ” Les Russes ne sont pas arrivés à faire peur à la Tchétchénie en la bombardant. Ils n’y parviendront pas plus en menaçant de construire de nouveaux oléoducs “, avait alors déclaré le président, Aslan Maskhadov. Ce projet a aussi rencontré la ferme opposition de Boris Eltsine, qui a ordonné à son gouvernement de trouver un compromis avec Grozny. En effet, l’oléoduc est l’un des derniers liens entre la Russie et la Tchétchénie. Le couper reviendrait à rompre définitivement les amarres.

NAUDET JEAN BAPTISTE

Le Monde
jeudi 11 septembre 1997, p. 4

Leave a comment