Pour le nouveau président tchétchène, comme pour la population tout entière, cette élection représente de facto une reconnaissance de l’indépendance de la Tchétchénie. ” Et le plus vite sera le mieux, a encore déclaré Aslan Maskhadov, cela dépend de la Russie. Il s’agit de définir des relations d’Etat à Etat et il n’est pas question d’accepter moins que l’indépendance “. De nombreux commandants militaires se sont dits prêts à suivre Maskhadov et se trouvaient derrière lui mardi au cours de son discours.
Les accords de paix signés en août dernier avec le général Alexandre Lebed – alors secrétaire du Conseil de sécurité russe – laisse un délai de cinq ans pour élaborer les relations entre Moscou et la Tchétchénie au sein de la Fédération russe, mais les Tchétchènes ont chassé l’occupant et se considèrent de fait comme indépendants.
Pour la Tchétchénie, Aslan Maskhadov représente une réelle chance de stabilisation en dépit de l’ampleur de la tâche qui l’attend : reconstruction du pays, recherche d’un accord avec la Russie pour assurer la sécurité du transit du pétrole russe venu de la mer Caspienne et fixation du prix de ce transit. Car si cet ancien colonel de l’armée soviétique a dirigé toutes les opérations militaires des séparatistes et mis les Russes à genoux, il est aussi un fervent défenseur de la paix et, respecté de tous, il est susceptible de réunifier le peuple tchétchène.
Les autorités russes ne cachent pas leur satisfaction après la victoire d’Aslan Maskhadov. Boris Eltsine, par la voix de son porte-parole, a salué le succès de Maskhadov, confirmant que le Kremlin était prêt à négocier avec le nouveau président de la République sécessionniste. Toute la classe politique russe a poussé un soupir de soulagement après l’annonce de la défaite de Chamil Bassaev qu’elle considère comme un terroriste. Sa victoire aurait été une catastrophe pour Moscou alors que Maskhadov est considéré comme un modéré avec qui on peut trouver des compromis. Le leader communiste Guenadi Ziouganov, le général Alexandre Lebed, le président de la République du Tatarstan et plusieurs autres personnalités politiques se sont succédé mardi à la télévision en faisant l’éloge de cet ancien colonel de l’armée soviétique.
Le premier ministre russe, Viktor Tchernomyrdine, est allé encore plus loin en proposant de ne prêter aucune attention aux propos antirusses de Maskhadov lors de sa campagne électorale, laissant entendre que ce dernier ne faisait que respecter les règles du jeu et que, au fond de lui-même, le nouveau maître de la Tchétchénie n’était pas d’accord avec ses propres déclarations.
Seuls Vladimir Jirinovski et le communiste Viktor Ilioukhine, président du Comité de sécurité de la Douma, n’ont rien trouvé de rassurant pour la Russie dans la victoire de Maskhadov. Pour Jirinovski, même un succès de Bassaev aurait été préférable, mettant fin à la ” politique de capitulation ” du Kremlin vis-à-vis de la Tchétchénie. Selon le leader des libéraux démocrates, Maskhadov est aussi ” criminel et hostile à la Russie ” que les autres séparatistes. Un avis que partage Viktor Ilioukhine, rappelant que Maskhadov avait organisé toutes les ” opérations terroristes ” des rebelles, y compris le fameux raid de Chamil Bassaev contre la ville russe de Boudennovsk, en juin 1995.
Dorian MALOVIC avec Maxime IOUSSINE (A Moscou)
La Croix
MONDE, jeudi 30 janvier 1997, p. 8