Après vingt et un mois d’une guerre qui a fait des milliers de victimes, la République caucasienne russe devait voter lundi 27 janvier pour des élections présidentielle et législatives.

La Tchétchénie devait choisir ” librement “, ce lundi, son président et son Parlement, après avoir chassé l’armée russe au terme d’une guerre de vingt et un mois. Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle, Moscou est certain de se retrouver face à un dirigeant déterminé à mener à son terme le processus d’indépendance de la République caucasienne : les cinq principaux candidats, parmi les quatorze inscrits, sont les chefs militaires ou les personnalités indépendantistes les plus connus en Tchétchénie.

La guerre a été déclenchée par les autorités fédérales russes en décembre 1994 pour faire taire les velléités séparatistes. Elle a fait entre 50 000 et 80 000 morts et laissé de profondes blessures : désormais, même dans le nord de la République musulmane, historiquement favorable à une cohabitation pacifique avec la Russie, on avoue sa haine pour ce pays et sa joie de l’avoir ” mis à genoux “.

Toutefois, le degré de souveraineté que s’accordera la Tchétchénie reste une inconnue. Le favori du scrutin, l’ex-chef d’état-major des séparatistes, Aslan Maskhadov, 45 ans, a mené les négociations de paix avec les Russes qui apprécient son sens politique. Il est considéré par les quelque 400 000 électeurs de Tchétchénie comme l’homme de la conciliation qui, plus mesuré que ses rivaux, laisserait la porte ouverte à la minorité russe et à ceux qui ont ” collaboré ” pendant la guerre. Il est si sûr de sa victoire qu’il ne mène plus campagne et espère passer dès le premier tour.

Mais le chef de guerre le plus admiré, ” recherché ” par Moscou qui le considère comme ” un terroriste international “, Chamyl Bassaev, 32 ans, semble le talonner : il a fait campagne tambour battant, sillonnant les 13 000 km2 de la République, participant à jusqu’à six rassemblements par jour pour convaincre de ses capacités politiques. La haine que Moscou lui voue est un bon point pour lui, aux yeux de nombre d’électeurs.

” Bassaev, c’est le fier guerrier, proche du peuple et admiré en particulier des jeunes, des combattants et des plus radicaux. Maskhadov, c’est le politique, plus en retrait, soutenu par les plus âgés, les intellectuels et beaucoup de ceux qui sont exténués par deux ans de violences et de destructions “, explique Khamid Zatouev, un responsable tchétchène chargé des relations avec les médias.

Tous les candidats sont pour l’indépendance

Leurs trois rivaux, l’actuel ” président ” Zelimkhan Iandarbiev, le chef militaire Akhmed Zakaev et l’ancien porte-parole des indépendantistes Movladi Oudougov, devenu le chantre d’un nouvel ” ordre islamique “, semblent recueillir autour de 5 à 15 % d’intentions de vote. Cependant aucun sondage fiable n’a été effectué.

Les législatives, quant à elles, attirent peu l’attention. Les candidats sont tous partisans de l’indépendance et connus, pour la plupart, seulement dans leur localité : ils sont plus de 800 à se présenter pour 6 sièges à pourvoir.

Une chose est sûre pour la Russie. A travers ces élections, elle voit la Tchétchénie cimenter son indépendance de fait, sans moyen de s’y opposer après sa débâcle militaire dans la République caucasienne. Moscou ne peut qu’assister en spectateur à un scrutin présidentiel dont les candidats revendiquent tous la sécession de leur territoire du reste de la Russie. ” La Russie a reçu un coup dans les dents et n’a pas de stratégie, hormis la réticence à reconnaître la défaite militaire qu’elle a subie “, estime Alexandre Kremeniouk, vice-directeur de l’Institut russe des relations avec les Etats-Unis et le Canada. Le Kremlin paye en fait le prix de son humiliante défaite militaire en août dernier, quand les combattants indépendantistes ont repris la capitale tchétchène en quelques jours, réduisant à néant le seul acquis de plus de vingt mois d’intervention russe.

Les belligérants ont signé le même mois un accord donnant cinq ans pour résoudre la question du statut de la Tchétchénie, alors que les dizaines de milliers de soldats russes quittaient la République. Depuis, les indépendantistes revenus au pouvoir ont dicté leur loi à Moscou, l’obligeant à accepter la tenue rapide d’élections, puis l’exclusion de ce scrutin des quelque 300 000 réfugiés tchétchènes installés ailleurs en Russie, de peur qu’ils ne soient manipulés.

” Le schéma de Moscou aujourd’hui est le maintien, même fictif, de la Tchétchénie au sein de la Fédération de Russie, c’est-à-dire une indépendance de facto, mais non de jure, assortie d’une coopération économique “, analyse un diplomate occidental.

La Russie ne peut qu’espérer le succès d’un candidat modéré comme Aslan Maskhadov. Dans le cas où un candidat très radical comme Chamyl Bassaev, ennemi juré de la Russie, gagnerait, Moscou serait bien ennuyé car il aurait du mal à ne pas reconnaître les résultats de ces élections. Le gouvernement russe pourrait tenter d’imposer un blocus autour de la Tchétchénie, comme en 1993, pour faire céder les indépendantistes, mais le succès est loin d’être garanti. Les Tchétchènes reconnaissent d’ailleurs qu’ils sont condamnés à coopérer économiquement avec Moscou. D. M.

LA TCHETCHENIE

– D’une superficie de 13 000 km2 (moins de la moitié de la surface de la Belgique), peuplée de 1,2 million d’habitants (58 % de Tchétchènes, 23 % de Russes et 13 % d’Ingouches, avant la guerre).

– La Tchétchénie est riche de réserves pétrolières et d’une industrie pétrochimique. Traversée par la principale route, la seule voie de chemin de fer et l’oléoduc qui relient en Russie la mer Caspienne à la mer Noire, elle occupe surtout une position des plus stratégiques.

MALOVIC Dorian

La Croix
MONDE, lundi 27 janvier 1997, p. 3

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