ACCORD DE KASSAVIOURT, SIGNE DANS LA NUIT DU SAMEDI 31 AOUT 1996. L’accord prévoit le retrait des troupes russes dans les trente jours et un référendum… en 2001.

MOSCOU DE NOTRE CORRESPONDANT – Le général Alexandre Lebed, représentant de Moscou en Tchétchénie, et le chef des indépendantistes de cette République caucasienne, Aslan Maskhadov, ont conclu un accord de paix. Toutefois, ce projet de règlement doit encore être soumis à l’approbation du Kremlin. Outre une confirmation du cessez-le-feu et le départ des troupes russes, l’accord évoque le “droit à l’autodétermination des Tchétchènes” en 2001.

“Nous arrêtons la guerre et nous retirons l’armée” russe de Tchétchénie. Après sept heures et demie de négociations à Kassaviourt, au Daghestan, avec Aslan Maskhadov, le chef des forces indépendantistes tchétchènes, le général Alexandre Lebed, représentant de Moscou en Tchétchénie, a prononcé, dans la nuit du samedi 31 août, ces phrases qui pourraient marquer, si le Kremlin les approuvent, la fin d’un conflit ayant coûté près de 40 000 vies en vingt mois.

La foule rassemblée devant l’hôtel de ville de Kassaviourt a salué la fin des pourparlers de paix aux cris d’ “Allah akhbar !” (Dieu est grand). Les délégations russes et tchétchènes ainsi qu’un représentant de l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OSCE) venaient de signer ce que le général Lebed a appelé “une déclaration commune sur les principes des relations entre la Russie et la Tchétchénie”. Selon cette déclaration retransmise par l’AFP, “le statut légal [de la Tchétchénie] doit être déterminé au 31 décembre 2001”, c’est-à-dire dans cinq ans, en appliquant “les principes universels du droit à l’autodétermination”.

“Nous pourrons en décider à ce moment-là, calmement et de façon civilisée”, a commenté le général Lebed. Le texte précise que “les lois sur le statut de la Tchétchénie doivent être écrites afin de protéger les droits de l’homme, le droit à l’autodétermination des peuples et le droit des Tchétchènes à faire connaître leur volonté”. Ce qui sous- entend qu’un référendum sera organisé, en Tchétchénie, sur la question de l’indépendance, comme le revendiquaient les séparatistes. Dans l’avion qui l’emmenait au Daghestan, le général Lebed a expliqué qu’il n’était pas “en train d’inventer la bicyclette” pour mettre fin à la guerre. “La France s’est retrouvée dans une situation analogue en 1988 avec la Nouvelle-Calédonie. Les gens se sont déchirés jusqu’à ce que soit prise la sage décision de reporter la question du statut pour dix ans. Ils auront un référendum en 1998 et tout se passe tranquillement”, avait déclaré le secrétaire du Conseil de sécurité russe.

La déclaration de Kassaviourt ne dit rien des dispositions transitoires, mais elle pose comme principe que les parties doivent “aspirer à créer des conditions mutuellement acceptables pour arriver à une solution politique au conflit armé, pour rendre inadmissible l’utilisation des armes, ou la menace de leur utilisation, pour résoudre les problèmes”. Le texte prévoit la constitution, d’ici au 1e octobre, d’une commission mixte russo-tchétchène pour mettre en oeuvre les accords de paix. Cette commission devra “contrôler” le départ des troupes russes de Tchétchénie, promis par un décret signé le 25 juin par le président Boris Eltsine. Elle devra aussi proposer au gouvernement de Moscou un projet de reconstruction de la petite République sécessionniste dévastée par la guerre.

ÉLOGES

Le général Lebed s’était prononcé vendredi pour la mise en place d’un “conseil administratif provisoire” incluant les représentants de tous les partis opposés à la guerre, tandis que les indépendantistes revendiquent depuis longtemps l’organisation d’élections, qu’ils semblent assurés de gagner à une large majorité. Le général Lebed s’était prononcé, jeudi, pour la démission de l’actuel “chef de la République” tchétchène, Dokou Zavgaïev, mis en place par Moscou en décembre 1995 à l’occasion d’une parodie d’élection.

Fidèle à lui-même, Alexandre Lebed s’est lancé des compliments : “Nous avons montré que les meilleurs hommes politiques, ce sont les militaires. Nous avons déjà montré notre fiabilité. Tout ce que nous avions décidé jusqu’à présent a été appliqué”, a-t-il déclaré, faisant allusion aux accords de cessez-le-feu, de désengagement des troupes et de contrôle conjoint dans la capitale tchétchène, Grozny. Aslan Maskhadov a fait l’éloge du général. “On aurait pu terminer cette guerre plus tôt, mais il n’y avait pas de véritable volonté. Maintenant, nous avons trouvé cette volonté”, a déclaré cet ancien officier de l’armée soviétique. Le chef des forces tchétchènes a ajouté : “Maintenant, je peux dire aux mères des soldats que leurs fils ne mourront plus” en Tchétchénie.

Cependant, le succès des accords de paix dépendra du degré de soutien dont ils bénéficieront à Moscou. Absent de la scène politique depuis la fin juin, notamment pour des raisons de santé, et actuellement en vacances au nord de Moscou, le président Eltsine a refusé de recevoir à deux reprises au moins Alexandre Lebed. Le chef de l’Etat avait autorisé la semaine dernière le général à signer un accord politique sur le statut de la Tchétchénie, mais exclusivement “en tant que partie intégrante de la Fédération de Russie”. Et l’accord de Khassaviourt, se référant au “droit à l’autodétermination”, sort manifestement de ce cadre, même s’il reporte la question à cinq ans.

A l’issue d’une réunion ministérielle convoquée jeudi à la demande du président russe, le porte-parole du gouvernement avait déclaré que le plan de paix avait besoin de “sérieuses mises au point”. De son côté, le général Lebed affirmait qu’aucune remarque sérieuse n’avait été formulée lors de cette réunion. Et il s’était envolé pour Kassaviourt, après s’être entretenu par téléphone avec Boris Eltsine.

De retour à Moscou, samedi 31 août, Alexandre Lebed a déclaré “espérer” pouvoir bientôt rencontrer le chef de l’Etat pour lui soumettre le résultat des négociations de Kassaviourt. Le général devait aussi participer à une réunion de plusieurs ministres et représentants de la présidence, sous la direction du chef du gouvernement, Viktor Tchernomyrdine.

NAUDET JEAN BAPTISTE

Le Monde
lundi 2 septembre 1996, p. 3

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