Le spectre du “conflit à outrance” à peine évanoui, la Tchétchénie continue de balancer entre guerre et paix. Alors que, sur le terrain, les généraux russes ont exploité, dimanche 25 août, quelques incidents pour suspendre les pourparlers, Alexandre Lebed, le représentant de Boris Eltsine en Tchétchénie, a regagné Moscou pour discuter, lundi 26 août, avec la direction russe de la question qui est à l’origine de la guerre, à savoir celle du statut futur de la petite république caucasienne. Le général devait soumettre au chef de l’Etat, au premier ministre, au ministre des nationalités et des affaires étrangères ainsi qu’à des “experts en droit international” les propositions de règlement politique du conflit présentées par les indépendantistes tchétchènes.
A peine le général Lebed s’était-il envolé pour Moscou, que le commandement des forces russes en Tchétchénie que M. Lebed avait convaincu in extremis la semaine dernière de renoncer à l’assaut sur Grozny a argué d’un incident (un groupe de Tchétchènes non identifié a saisi, samedi, des armes russes) pour annuler une rencontre avec le chef d’état-major des forces tchétchènes, Aslan Maskhadov. Celui-ci a regretté que le commandant russe “Viatcheslav Thiromirov et d’autres lient la poursuite des pourparlers à de quelconques provocations”. Les négociations entre les chefs militaires sur le retrait de leurs forces de Grozny et la mise en place de patrouilles conjointes pour assurer l’ordre dans la capitale tchétchène, devaient cependant reprendre lundi.
Si le cessez-le-feu est globalement respecté, la situation est très mouvante sur le plan politique. Les Tchétchènes veulent en effet que leur République soit “sujet de droit international” tandis que Moscou exige qu’elle soit soumise au droit russe. Le général Lebed reste muet sur le contenu des propositions tchétchènes. Les indépendantistes tiennent un langage modéré. Movladi Oudougov, leur porte-parole, a donné, samedi, quelques indications sur la philosophie des propositions tchétchènes sans en dévoiler le contenu. Les indépendantistes sont prêts à examiner des options qui “ménagent les intérêts de l’Etat russe”, a-t-il déclaré. “La question du statut sera résolu en prenant en compte les intérêts des deux parties.” “Si Boris Eltsine ne propose pas l’indépendance, nous trouverons un langage commun”, a-t-il même précisé.
RÉFÉRENDUM DANS CINQ ANS ?
Tout indique cependant que les Tchétchènes n’ont pas renoncé à obtenir des garanties internationales et non pas seulement russes sur leur avenir. Le fait que le général Lebed doive notamment consulter, à Moscou, le ministère des affaires étrangères et des experts en droit international en témoigne. Le président russe a autorisé, vendredi dernier, son représentant à “signer un accord sur la définition du statut de la Tchétchénie” mais seulement “en tant que partie intégrante de la Fédération de Russie””. C’est vraisemblablement parce que le plan présenté par les indépendantistes sort de ce cadre rigide, que de nouveaux pourparlers, entre Russes, sont devenues nécessaires.
Même si elles n’ont pas été officiellement rendues publiques, les propositions tchétchènes sont sans doute assez proches du projet de règlement du conflit, publié fin juillet dans les colonnes du quotidien Nezavissmaïa Gazetta, dans une indifférence presque générale, par Salambek Maïgov, chef du parti Bachlam, représentant les Tchétchènes vivant en Russie. Faisant partie des experts du mouvement indépendantiste, M. Maïgov proposait que la Russie reconnaisse la Tchétchénie comme un “Etat indépendant, sujet de droit international” mais qui serait “associé à la Fédération de Russie”. Selon ce plan, les Nations unies seraient garantes du respect de l’accord et chargées d’arbitrer d’éventuels conflits. Pour sauvegarder les intérêts de l’Etat russe, la Tchétchénie transférerait “de façon volontaire une partie des ses droits souverains” à la Russie, écrivait M. Maïgov. Elle déléguerait ainsi “la mise en oeuvre de la défense collective, la direction des forces armées collectives”. Les deux pays conserveraient aussi en commun une monnaie, des frontières, un espace douanier et économique. Et une double citoyenneté serait instaurée.
Du côté russe cependant, on semble tenté de renvoyer la délicate question du statut aux calendes grecques. Ce qui pourrait, en fait, être acceptable par les indépendantistes à condition que l’armée russe quitte vraiment de Tchétchénie. Cependant, cette solution, adoptée lors des deux précédentes négociations, a conduit à la reprise des combats car Moscou a renoncé à retirer ses forces, comme promis, craignant à juste titre que l’indépendance ne soit alors acquise de facto. “Pour un certain temps, il ne faut pas parler du statut et après un certain délai, c’est le peuple qui décidera, y compris là-bas” en Tchétchénie, a déclaré, dimanche à la télévision, le premier ministre russe, Viktor Tchernomyrdine. Tout en reconnaissant que ce sera à Boris Eltsine de trancher, le chef du gouvernement paraissait ainsi vouloir organiser un référendum sur le statut de la République dans l’ensemble de la Fédération russe et, a-t-il précisé, après un “grand travail de reconstruction” de la Tchétchénie. Selon les agences russes, le gouvernement souhaite repousser de cinq ans une consultation populaire sur la question. Sur la question du statut, le premier ministre n’a toutefois pas fait d’ouverture : “J’ai toujours dit et je le dirai toujours : la Tchétchénie fait partie de la Russie. La Tchétchénie est au sein de la Russie, ce n’est pas un sujet à débattre. La question, c’est comment. En fin de compte c’est là qu’on peut trouver une solution”, a-t-il dit. Mais pour l’instant, il n’y en a toujours pas.
NAUDET JEAN BAPTISTE
Le Monde
mardi 27 août 1996, p. 3