Moscou envoyée spéciale – Malgré son succès à faire revenir le calme en Tchétchénie, le général Alexandre Lebed n’a pas été accueilli à bras ouverts à Moscou. De retour dans la capitale russe, alors qu’il venait d’annoncer qu’il irait d’abord rendre compte à Boris Eltsine des résultats de sa mission avant de convoquer une conférence de presse, le chef de l’Etat l’a ouvertement boudé. “Aucune rencontre avec le général Lebed ne figure à l’agenda du jour du Président”, a froidement annoncé son service de presse pour préciser plus tard que Eltsine attendait avant tout entretien son “rapport sur la façon dont il exerce ses fonctions pour régler la situation en Tchétchénie ainsi que sur les résultats de ses négociations avec la direction des séparatistes”. Le Président avait laissé éclater jeudi sa mauvaise humeur en déclarant n’être “pas tout à fait satisfait” du travail de Lebed en Tchétchénie, au moment même où celui-ci concluait un cessez-le-feu avec les indépendantistes.

Les relations entre les deux hommes se sont tendues après que le général Lebed eut, la semaine dernière, sommé le Président de choisir entre lui et le ministre de l’Intérieur, Anatoli Koulikov, qu’il rend responsable des dérapages du mois d’août en Tchétchénie. Refusant de trancher, Eltsine avait rappelé le général à l’ordre, lui intimant de lui présenter un rapport avant le 26 août et d’étayer ses accusations. Lebed repartira ainsi aujourd’hui en Tchétchénie, où il espère conclure un “accord politique” avec les indépendantistes, sans le blanc-seing du chef de l’Etat russe. Ceci ne peut que le mettre en difficulté face à ses interlocuteurs, fondés à douter que ses propositions seront avalisées par le Kremlin.

Pour Eltsine, qui, cette fois, ne se cache plus derrière sa maladie, la situation est plus confortable, puisqu’il envoie au feu son subordonné, en gardant la possibilité de le désavouer si les négociations tournent à son désavantage. Car, déjà, les premières réactions de l’opinion à l’accord de cessez-le-feu signé jeudi en Tchétchénie par le général Lebed et le chef d’état-major tchétchène Aslan Maskhadov sont très réservées. Les principaux quotidiens du pays n’hésitaient pas à parler de “capitulation” de la Russie. Pour le quotidien Moskovski Komsomolets, il s’agit “de la plus grosse défaite russe après deux ans de guerre”. Le très sérieux Izvestia laissait percer le même sentiment. “Les forces russes sont entrées en Tchétchénie comme sur leur propre terre, mais j’ai peur qu’elles soient obligées de la quitter comme une terre étrangère”, écrivait hier son commentateur.

Les remontrances d’Eltsine au bouillant général pourraient révéler une profonde divergence politique entre les deux hommes, qui s’est déjà manifestée la semaine dernière quand il lui a ordonné de rétablir l’ordre à Grozny. “Je crains, a souligné le défenseur des droits de l’homme Sergueï Kovalev, qu’elles ne soient causées par son mécontentement de voir l’affaire évoluer vers l’indépendance de la Tchétchénie, alors que le Président a répété à maintes reprises qu’elle est et sera partie intégrante de la Russie.” Alors que l’accord signé jeudi par Lebed revient à reconnaître la légitimité des indépendantistes.

Dans la petite république caucasienne, le nouveau cessez-le-feu est entré hier en vigueur à midi, et paraissait globalement respecté. Le détail des accords n’était toujours pas publié si ce n’est que la cessation des hostilités ne concerne pas seulement Grozny, mais toute la Tchétchénie. Dans la capitale, l’ordre sera assuré par des patrouilles de police russo- indépendantistes tandis que toutes les forces militaires ont reçu l’ordre de quitter la ville avant lundi. Les modalités de cet accord étaient hier en discussion au niveau des commandants russe et tchétchène.

DESPIC-POPOVIC Hélène

Libération
MONDE, samedi 24 août 1996, p. 10

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