Une démission qui pourrait renforcer ses pouvoirs, alors que les indépendantistes tchétchènes devaient annoncer, samedi 17 aoüt, un cessez-le-feu unilatéral sur l’ensemble de la république caucasienne.

MOSCOU DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE – TCHÉTCHÉNIE Les indépendantistes tchétchènes devaient annoncer officiellement, samedi 17 août, un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire de la République caucasienne. Cette annonce fait suite à la trêve convenue mercredi lors des négociations entre le gouvernement russe et les forces tchétchènes ouvertes à l’initiative du général Lebed. A GROZNY, la situation est relativement calme mais deux soldats russes ont été tués et quatre autres blessés, vendredi soir, lors d’un accrochage avec les rebelles. LE GÉNÉRAL LEBED a réclamé le limogeage du puissant ministre de l’intérieur, Anatoli Koulikov, responsable à ses yeux des erreurs de la politique de Moscou en Tchétchénie. Ce dernier, considéré comme un “faucon” du Kremlin, a écrit personnellement au président Boris Eltsine pour lui demander de décider de son sort.

Censé dévoiler, vendredi 16 août à son retour de Tchétchénie, “les noms des responsables des derniers événements de Grozny”, le général Alexandre Lebed a lancé un ultimatum à Boris Eltsine exigeant la démission de l’actuel ministre russe de l’intérieur, Anatoli Koulikov, qui avait été, la veille, confirmé à son poste dans le nouveau gouvernement. “On ne peut loger à deux dans la même tanière, ce sera Koulikov ou Lebed” a martelé le général Lebed, le teint pâle et les traits tirés.

Tout en sommant le chef de l’Etat russe de “faire un choix”, Alexandre Lebed s’est dit prêt à “tenir tête” en expliquant qu’il n’avait pas l’intention de démissionner, même si Boris Eltsine n’acceptait pas sa proposition. Fidèle à son habitude, il n’a pas mâché ses mots à l’intention du général Koulikov, accusé, non seulement de ne pas avoir “rempli sa mission” mais d’avoir cherché à faire “déborder le conflit” sur les républiques voisines d’Ingouchie et du Daghestan.

La réponse ne s’est pas fait attendre. Stupéfait par “le manque de savoir- vivre et l’obscénité des propos” d’Alexandre Lebed, le général Koulikov a, séance tenante, envoyé un rapport à Boris Eltsine en lui demandant de “trancher”. “Les événements de Grozny, explique-t-il dans sa missive, ne relèvent pas de la responsabilité du MVD (ministère de l’intérieur) ils sont la conséquence de la faiblesse du pouvoir”. Quant à Boris Eltsine, il “travaille deux à trois heures par jour au Kremlin” selon son porte-parole, Sergueï Iastrjembski, et serait actuellement à la recherche d’une résidence de vacances où il pourrait “surveiller sa santé”.

En lançant son offensive, le général Lebed vient de mettre le doigt sur les aspects contradictoires de sa mission de paix en Tchétchénie. En s’attaquant à Anatoli Koulikov, il rappelle que la direction des opérations sur le terrain avait été, dès février 1995, confiée par le président au ministre de l’intérieur. Lorsque Boris Eltsine signa, mercredi, le décret donnant des pouvoirs accrus au Conseil de sécurité et à Alexandre Lebed, le général Koulikov, avait aussitôt indiqué qu’il refusait de se soumettre à l’ancien parachutiste.

Partisan de la guerre à outrance, le général Koulikov est opposé à toutes négociations, prétexte selon lui au “regroupement des forces séparatistes”.

Enfin, soucieux de conserver le soutien de son électorat les militaires essentiellement Alexandre Lebed veut défendre l’honneur de l’armée, laquelle, plus que le ministère de l’intérieur, a essuyé de lourdes pertes en vingt mois de guerre, sans compter le coup porté à son prestige. Comparant l’intervention des troupes en Tchétchénie à la guerre menée par le pouvoir soviétique en Afghanistan, le général, après avoir rencontré, jeudi, le chef indépendantiste, Zelimkhan Iandarbiev, s’est dit prêt à faire cesser la guerre “en vingt, vingt- cinq minutes”, suscitant les rires francs de son auditoire. “Le pays est sous la menace d’une explosion sociale à cause de la guerre en Tchétchénie” a expliqué Alexandre Lebed.

“On ne peut loger à deux dans la même tanière, ce sera lui ou moi”

De nombreuses zones d’ombres subsistent dans les propos du général Lebed. Son plan “radical” sur la Tchétchénie n’a toujours pas été dévoilé. Avant d’être appelé à aux affaires par le Kremlin, il s’était démarqué en prononçant pour la tenue d’un “référendum sur l’indépendance de la Tchétchénie”. Mais rien n’a filtré, vendredi, à l’occasion de sa conférence de presse, ou trop peu. “Ce qui se passe aux check-points en Tchétchénie et un véritable crime” a- t-il dénoncé sans en dire plus.

Reconnaissant “n’avoir pas obtenu grand-chose” lors de sa discussion avec Zelimkhan Iandarbiev, il s’est toutefois dit prêt à poursuivre le processus de négociation, lequel “prendra du temps”. Les télévisions avaient retransmis, vendredi soir, des images de la rencontre entre les deux hommes et leurs délégations. On y voyait la table de négociations couverte de bouteilles de soda le général Lebed comme les indépendantistes étant connus pour leur peu de goût pour les alcools et l’atmosphère semblait chaleureuse.

Mais malgré l’annonce par les indépendantistes d’un prochain cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire tchétchène, l’espoir est faible de voir la crise se résoudre pacifiquement. Des voix se font encore entendre à Moscou qui réclament une escalade du conflit. “On ne pourra gagner cette guerre qu’en annihilant dans sa totalité la population mâle de Tchétchénie” confiait, vendredi, au quotidien anglophone Moscow Times, Andreï Piontkovski, un “expert” du centre des études stratégiques de Moscou : “Notre seule supériorité sur les Tchétchènes, c’est l’aviation, mais en bombardant les villages on tue 100 innocents et ensuite 10 à 15 jeunes hommes sont prêts à prendre les armes contre nous”.

Plus modéré, Alexandre Konovalov, de l’Institut des Etats-Unis et du Canada expliquait ainsi les raisons de la déroute des forces fédérales en Tchétchénie : “Quant un soldat réalise qu’il défend les intérêts pécuniers de quelqu’un au sommet, il se met à penser qu’il doit lui aussi gagner de l’argent dans cette guerre, alors il vend ce qu’il a : ses armes, son carburant.”

JEGO MARIE

Le Monde
lundi 19 août 1996, p. 2

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