Après quatre jours d’assaut des indépendantistes tchétchènes sur Grozny, Boris Eltsine a rompu le silence et rendu son verdict. Le président russe a nommé, samedi 10 août, le général Alexandre Lebed comme son nouveau représentant en Tchétchénie, en remplacement d’Oleg Lobov. Le général Lebed avait déclaré, mercredi, que Moscou n’avait “pas l’intention de résoudre la crise uniquement par la force malgré le bain de sang à Grozny”, une “nouvelle approche” au contenu très vague mais pas très nouveau.
Boris Eltsine n’avait en tout cas pas renoncé à l’habituelle rhétorique guerrière dans son communiqué de vendredi : “Je n’autoriserai personne à parler aux autorités fédérales avec le langage de la force (…). Les attaques terroristes seront résolument écrasées”, avait-il déclaré, tout en se prononçant pour un règlement négocié. Samedi matin, la guerre continuait de faire rage : les forces de Moscou écrasaient le centre de Grozny sous un déluge d’obus, selon les correspondants des médias russes sur place. D’intenses combats se poursuivaient pour le contrôle des bâtiments administratifs du centre- ville, symbole de la présence russe en Tchétchénie. Selon les journalistes présents sur place, les forces russes, en “situation critique” la veille, avaient repris l’initiative et l’avantage. Des sources pro-russes à Grozny affirmaient même que les séparatistes avaient commencé à battre en retraite. Plusieurs chars russes avaient réussi à percer les lignes tchétchènes et bombardaient les positions des combattants au centre-ville.
COUP SÉVÈRE
Dans une interview à Radio-Svoboda, le porte-parole des indépendantistes, Movladi Oudougov, a accusé vendredi les Russes d’avoir utilisé des réfugiés civils comme boucliers humains pour protéger la progression d’une colonne de blindés et de forces spéciales vers le centre.
Même si les combattants indépendantistes peuvent encore tenir longtemps dans Grozny (il avait fallu deux mois et des milliers d’hommes pour les en chasser en février 1995), il n’est pas exclu que leur commandement leur ordonne de décrocher rapidement. Ne serait-ce que pour éviter de trop nombreuses victimes civiles. Les indépendantistes tchétchènes ont, de toute façon, réussi leur démonstration de force. Ils ont porté un sévère coup au Kremlin en annonçant la prise des bâtiments de l’administration russe en Tchétchénie quelques minutes avant l’ouverture de la cérémonie d’investiture de Boris Eltsine.
Dans son communiqué de vendredi, le président russe a mis en cause les représentants tchétchènes et russes de Moscou en Tchétchénie. Il est “clair qu’ils ont commis de grossières erreurs dans l’appréciation de la situation et l’évaluation des forces des combattants” tchétchènes, a-t-il déclaré. Boris Eltsine a demandé à son premier ministre Viktor Tchernomyrdine de réunir dimanche la commission sur la Tchétchénie afin d’ “établir les circonstances et les coupables” de cette attaque.
“Vous ne pouvez pas créer la paix en proclamant votre dévotion aux négociations tout en poursuivant en fait une politique d’opérations militaires “spéciales” qui coûtent la vie à des centaines de civils innocents”, a estimé vendredi Rouslan Khasboulatov, l’ancien président du Parlement russe désigné comme négociateur par les indépendantistes. Cependant, la nomination d’Alexandre Lebed, sur lequel les indépendantistes misaient pour régler le conflit, indique que le président russe veut modifier sa politique en Tchétchénie. Mais la réouverture de négociations passe d’abord par un arrêt des combats, et, samedi, on en était encore loin.
NAUDET JEAN BAPTISTE
Le Monde
lundi 12 août 1996, p. 2