Le général, à peine nommé à la tête du Conseil de sécurité russe, affirme avoir déjoué une ” tentative de coup d’Etat ” de militaires restés fidèles à l’ancien ministre de la défense, Pavel Gratchev, limogé lundi 17 juin ELECTIONS.

MOSCOU DE NOTRE CORRESPONDANTE – A peine nommé dans ses nouvelles fonctions de dirigeant de l’influent Conseil de sécurité russe, le général Alexandre Lebed a indiqué, mardi 18 juin, qu’il n’hésiterait pas à employer la manière forte pour rétablir l’ordre. Concernant ses nouvelles fonctions, M. Lebed, très courtisé en raison des 15 % de voix qu’il a obtenus au premier tour de l’élection présidentielle du 16 juin, a promis une ” thérapie de choc ” dans la réorganisation du Conseil de sécurité, un organisme au fonctionnement opaque, à l’origine des décisions stratégiques, de la guerre en Tchétchénie à la position de Moscou face à l’élargissement de l’OTAN. L’ancien commandant de la 14e armée soviétique en Transnistrie, a affirmé, mardi, qu’il aurait autorité sur tous les ” ministères de force ” (intérieur, défense, ex-KGB), ainsi qu’un ” droit de regard ” sur les affaires ” stratégiques ” du pays. En faisant ces concessions au général Lebed, Boris Eltsine espère séduire une partie de l’électorat, tenté de voter pour son adversaire communiste au second tour de l’élection présidentielle.

Debout, côte à côte, devant les caméras dans les salons dorés du Kremlin, Boris Eltsine et Alexandre Lebed ont joué ensemble, mardi 18 juin, le premier acte de la tactique mise au point pour permettre au président sortant de gagner le second tour de l’élection présidentielle. Cette tactique consiste à présenter l’ex- général ” rebelle “, non seulement comme un nouveau ” super-ministre ” de la sécurité qui va enfin balayer les écuries d’Augias, mais comme le dauphin en titre du Président.

Il s’agit d’attirer les électeurs potentiels de Boris Eltsine mais qui sont effrayés par son âge (65 ans), ses ennuis de santé et son tempérament cyclique, alternant périodes d’abattement et d’activité débordante. Ces faiblesses ont été un thème porteur de la campagne de son rival communiste, Guennadi Ziouganov, qui pourrait toujours réunir plus de voix que le président sortant si la participation au second tour ne dépassait pas les 60 %. Boris Eltsine a ainsi pris soin de laisser entendre, mardi au Kremlin, qu’il pensait bien à Alexandre Lebed lorsqu’il avait annoncé, à la veille du premier tour, connaître un ” bon candidat ” pour l’élection présidentielle de l’an 2000.

Rien n’exclut a priori que cette tactique électorale soit un choix stratégique réel du président, ou du moins d’une partie de ses conseillers. Un peu comme l’accord de paix en Tchétchénie, lequel, par contre, est resté pour l’instant lettre morte.

Alexandre Lebed aurait été dans ce cas choisi, sans doute en avril dernier, comme étant l’homme le mieux à même de mettre en oeuvre un régime ” musclé ” encadrant une économie libérale. Ce qui représente le rêve inaccessible de la plupart des ” démocrates ” russes depuis au moins cinq ans.

L’ex-général n’a en tout cas pas perdu de temps, mardi, pour se présenter sous cette image. Lors d’une conférence de presse convoquée au ” President-Hôtel “, siège de l’état- major de campagne de Boris Eltsine, il a annoncé qu’il va soumettre le Conseil de sécurité, dont il a été nommé secrétaire, à une ” thérapie de choc ” : ” jeudi, je serai présenté à ses membres et je commencerai par mettre toute l’équipe dehors “, a-t-il dit. Il a affirmé que Boris Eltsine s’apprêtait à signer un décret lui donnant un droit de regard sur la nomination de tous les membres de ce Conseil, qui vont des ” ministres de force ” (défense, intérieur, FSB, etc..)à ceux de l’économie ou des situations d’urgence. Il a annoncé qu’il allait s’occuper de toutes les questions stratégiques pour l’avenir du pays : privatisations, lutte contre la corruption, retour des capitaux enfuis et réforme de l’armée.

Pour démontrer qu’il ne s’agit plus de simples paroles, il a raconté comment il venait d’étouffer dans l’oeuf une sorte de ” troisième tentative de coup d’état ” : le général Pavel Gratchev, démis de ses fonctions de ministre de la défense, aurait rassemblé dans un bureau de son ministère, mardi ” entre 9 et 10 heures “, cinq des généraux qui lui sont les plus proches (qu’il a nommés), son porte-parole hélène Agapova et le ministre de la défense géorgien, Variko Nadebaïdze. ” Ils ont soulevé une vague qui a déferlé dans tous les états-majors de la région militaire de Moscou [qui s’étend jusqu’à l’Oural] et chez les parachutistes “, le corps d’origine de Pavel Gratchev, a dit M. Lebed. Pressé de questions, Alexandre Lebed a dit que ces officiers voulaient ” faire pression sur le président en mettant les troupes en alerte “. Ce qu’Alexandre Lebed n’a pas permis, en ” ordonnant au centre de commandement de l’état-major qu’on ne transmette pas les ordres que donnerait Pavel Gratchev aux troupes “.

Une ” source informée ” au ministère de la défense expliquait ensuite à l’agence Interfax que le général Gratchev allait ” sans doute prendre quelques mois de vacances ou être nommé représentant à l’OTAN “… Les premiers commentateurs russes doutaient du sérieux d’un tel complot, même s’ils trouvaient tout naturel que des officiers qui devraient faire les frais de la première campagne électorale anti-corruption se concertent d’urgence. Mais le ton a été donné et chacun estime désormais, avec le général Lebed, qu’il n’y aura ” pas le moindre mouvement dans l’armée “. Contrairement à ce qu’avait prédit, le mois dernier, Pavel Gratchev, dont le limogeage, attendu par le pays entier, a été retardé par M. Eltsine jusqu’au moment opportun pour sa réelection.

ESPOIRS EN TCHÉTCHÉNIE

Mais au-delà des démontrations de force, les pouvoirs réels qu’aura Alexandre Lebed seront apparemment balancés par ceux que conserve l’ancien secrétaire du Conseil de sécurité, Oleg Lobov. Ce fidèle de toujours du président, vieil apparatchik qui fut un des vrais responsables de la guerre en Tchétchénie, a en effet hérité du poste de premier vice-premier ministre chargé des ” ministères de force “. Il fera sans doute écran entre ceux-ci et le nouvel homme fort du Kremlin, de même qu’il gardera sa fonction, cette fois assez théorique, d’envoyé ” permanent ” du président en Tchétchénie. Du moins jusqu’à ce qu’Alexandre Lebed ne mette au point son propre plan et ne se rende en Tchétchénie, ainsi qu’il l’a annoncé.

Les espoirs soulevés en Tchétchénie par la perspective d’une telle visite le général accepte l’idée d’un référendum et même d’une indépendance ” derrière des barbelés ” sont tempérés par les contacts étroits qu’il n’a jamais cessé d’avoir avec l’actuel chef des troupes russes en Tchétchénie, son ancien subordonné de Transnistrie, Viatcheslav Tikhomirov. Ce qui n’a pas empêché ce dernier d’agir et de parler comme le plus décidé des faucons. Mais la paix en Tchétchénie aurait encore une chance avec ce qui pourrait être un ” deuxième acte ” de la tactique électorale de Boris Eltsine : attirer dans son équipe le candidat ” démocrate ” Grigori Iavlinski (7,42 %), au discours démocratique et anti-guerre beaucoup plus radical.

SHIHAB SOPHIE

Le Monde
jeudi 20 juin 1996, p. 4

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