Alors que le président russe, Boris Eltsine, accueille à Moscou, vendredi 19 et samedi 20 avril, le sommet du G7 sur la sécurité nucléaire, les violences se poursuivent en Tchétchénie. Les forces russes y subissent de lourdes pertes, tandis que les militants des droits de l’homme et les organisations humanitaires dénoncent les atrocités qu’elles commettent.
Dans la capitale russe, tous les organes de sécurité sont sur les dents dans la crainte d’un nouveau coup d’éclat des indépendantistes. Malgré les affirmations officielles, malgré de timides ouvertures politiques du côté tchétchène, la guerre fait toujours rage dans le Caucase. Le président Eltsine a eu beau déclarer mercredi qu’en Tchétchénie “il n’y a pas de guerre avec usage de l’aviation et de l’artillerie”, le représentant russe à l’ONU a eu beau répéter jeudi que “les opérations militaires ont été arrêtées le 31 mars”, les combats se poursuivent, avec des bombardements russes et des pilonnages d’artillerie contre les villages.
Les forces russes subissent toujours de lourdes pertes. Le bilan d’une embuscade tendue mardi par les indépendantistes au sud de la Tchétchénie à une colonne blindée russe a dû être révisé à la hausse. Il est officiellement passé de 26 soldats russes tués et 52 blessés à 53 morts et 52 blessés. Citant des sources militaires russes anonymes, la chaîne privée russe NTV a fait état de 93 morts et 54 blessés. Malgré ces combats acharnés, le chef d’état-major des indépendantistes, Aslan Maskhadov, sans doute l’un des hommes les plus populaires de Tchétchénie, a tendu la main à Moscou. “Il ne faut pas demander à cor et à cri la souveraineté totale, l’indépendance absolue”, a-t-il déclaré dans un entretien publié jeudi par la Nezavissimaïa Gazeta. “La différence entre ma position et celle du président Doudaev est que je suis contre les déclarations radicales”, a-t-il ajouté, en se prononçant pour des négociations avant le départ de l’armée russe. Cependant M. Maskhadov a jugé qu’il ne voyait pas, pour l’instant, de possibilité d’ouverture de négociation en raison de la poursuite de l’offensive russe.
“CRIME CONTRE LA NATION”
Soulignant que depuis l’annonce du “plan de paix” de Boris Eltsine “les intimidations et les agressions répétées contre la population” civile se sont poursuivies en Tchétchénie, l’organisation humanitaire Médecins sans frontières a lancé un cri d’alarme lors d’une conférence de presse jeudi à Moscou. Dans une lettre aux leaders du G 7, MSF leur demande de considérer que “la guerre en Tchétchénie a dépassé le stade d’une affaire interne et [qu’] elle constitue aujourd’hui une crise internationale”. “La population civile, les hôpitaux, les écoles, les mosquées sont pris pour cibles”, a déclaré le directeur de MSF, Eric Goemaere, ajoutant que “les droits humanitaires internationaux sont continuellement violés” en Tchétchénie et que “les organisations humanitaires se voient systématiquement refuser l’accès aux populations civiles”. A Genève, devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU, l’ex-dissident et parlementaire russe Sergueï Kovalev a affirmé que le nombre et la gravité des violations des droits de l’homme en Tchétchénie massacres et bombardements et mitraillage des civils, tortures dans les centres russes de filtration, exécutions sommaires étaient “sans précédent en Russie depuis les répressions de masse de l’ère de Staline”. M. Kovalev a estimé qu’il “ne s’agit pas d’une opération de police contre des terroristes”, mais d’un “crime contre une nation”.
NAUDET JEAN BAPTISTE
Le Monde
samedi 20 avril 1996, p. 5