La paix comme la guerre hésitent en Tchétchénie. Malgré un accord militaire, les ultimatums succèdent aux gestes de bonne volonté depuis plus d’une semaine. Russes et Tchétchènes continuent de jouer au chat et à la souris, cette fois-ci au nom de la paix, dans une lutte parfois sanglante. Car les deux parties s’opposent toujours fermement sur la question à l’origine de la guerre : la Tchétchénie doit-elle être indépendante ou russe ? Un jour, c’est le Kremlin qui menace d’employer la force si les indépendantistes ne désarment pas. Lundi 21 août, c’est un commando tchétchène qui a assiégé les troupes russes à Argoun, à l’est de Grozny, exigeant leur retrait. Loin de se retirer, les forces russes sont passées à l’assaut. « La situation est de plus en plus bizarre en Tchétchénie. Tout le monde parle de paix, mais des gens sont tués tous les jours », relevait récemment Boris Fiodorov, ancien ministre des finances. Ce n’est donc « ni guerre ni paix » mais un bras de fer sanglant. A quatre mois des élections législatives et à neuf mois du scrutin présidentiel, les deux camps semblent jouer la montre. Le Kremlin espère tirer parti d’un « retour au calme », mais sans faire de concession sur le fond. Tandis que les Tchétchènes misent sans doute sur une sanction du pouvoir russe par les urnes. Les plus populaires des opposants à M. Eltsine, qu’ils soient démocrates, communistes ou encore « nationalistes éclairés » comme le général Alexandre Lebed, ne se sont-ils pas tous engagés contre la guerre, sans toutefois proposer une solution claire ?
En attendant, Russes et Tchétchènes cherchent à se ménager un avenir. Ils se comportent tous deux en vainqueurs, alors que les deux camps ne sont pas en mesure de gagner par les armes. Le désaccord pourrait certes être tranché par les urnes. Mais Moscou semble avoir réalisé que les « élections démocratiques » promises risquent fort de ramener au pouvoir à Grozny des partisans de l’indépendance. Notamment depuis que le chef du gouvernement « pro-russe », Salambek Khadjiev, s’est lui-même ouvertement prononcé pour l’indépendance. Après avoir annoncé des élections pour le mois de novembre, le Kremlin a donc renvoyé le scrutin en Tchétchénie à des jours meilleurs, « pas cette année, mais au premier semestre » de 1996, a vaguement annoncé, début août, Boris Eltsine.
ABSENCE DE SOLUTION POLITIQUE
Chacun veille donc à ne pas perdre de positions en appliquant l’accord militaire du 30 juillet. Quand la tension retombe, les indépendantistes rendent symboliquement quelques armes, tandis que les troupes de Moscou amorcent des mouvements, tout aussi symboliques, de retrait de Tchétchénie. L’accord militaire non publié prévoit le désarmement des Tchétchènes, à l’exception de « groupes d’autodéfense » de 25 hommes par village, et le retrait des troupes russes, à l’exception de deux brigades (soit près de 6 000 hommes). Les deux parties divergent naturellement sur l’interprétation de ce texte, qui ne prévoit pas de calendrier d’application.
En lançant un ultimatum, il y a une semaine, Moscou avait essayé d’imposer sa lecture d’un protocole que les Tchétchènes ont refusé de signer. Selon Moscou, les Tchétchènes doivent désarmer les premiers, sauf dans les réduits montagneux qu’ils contrôlent encore. Boris Eltsine a d’ailleurs estimé, début août, que le désarmement « des formations armées illégales » servirait « de base à un retrait des troupes russes ». En bref : « Rendez vos armes d’abord, puis nous verrons… » Ainsi, le ministre russe de l’intérieur, Anatoli Koulikov, refuse que soient constitués des « groupes d’autodéfense » tchétchènes dans les zones déjà sous contrôle de ses forces.
Les Tchétchènes, eux, veulent disposer de ces unités dans chaque localité. Ils ont donc tout fait pour reprendre les positions perdues, à la faveur des négociations. Et l’application de l’« accord » militaire tourne à l’épreuve de force. Selon le chef des négociateurs tchétchènes, l’action des indépendantistes, lundi à Argoun, n’était pas, comme l’affirment les Russes « une grave violation de l’accord militaire », mais « le retour planifié d’une unité de volontaires » dans la ville.
Au-delà des divergences d’interprétation de l’accord militaire, ce qui menace avant tout la paix, c’est l’absence d’un accord politique, même transitoire. La question d’un pouvoir intérimaire, en attendant d’éventuelles élections, qui pourrait régler le conflit, n’a pas non plus été résolue. En attendant de se mettre d’accord, les négociateurs des deux camps devront réussir à contenir les « malentendus » de l’accord militaire. Sinon, la guerre risque d’embraser de nouveau le Caucase.
JEAN-BAPTISTE NAUDET