Mais, après avoir menacé de prendre les « mesures les plus sévères » si son ultimatum, expirant lundi en fin d’après-midi, était rejeté, le gouvernement russe a mollement réagi dans la soirée. Il s’est prononcé pour la poursuite des négociations tout en affirmant que « toutes les mesures nécessaires », mais non précisées, seraient prises pour mettre un terme aux agissements des « groupes armés illégaux » en Tchétchénie.
Le gouvernement russe accuse le président indépendantiste « Doudaev et ses proches d’entraîner la population vers un nouveau bain de sang insensé ». Moscou menace aussi dans ce communiqué de rompre les négociations, tout en soulignant la bonne volonté des membres de la délégation tchétchène.
Plus tôt dans la journée, le président russe, Boris Eltsine, avait présidé une réunion de crise au Kremlin. Il s’était dit « insatisfait » de l’absence de progrès sur le désarmement des Tchétchènes, mais avait déclaré que « les Russes ne [devaient] pas abandonner l’initiative pour un règlement en Tchétchénie ». De son côté, malgré son refus, Aslan Maskhadov a promis de « contribuer » à appliquer l’accord militaire. Il a cependant lié la signature du protocole d’accord par les Tchétchènes à « une solution à la question du pouvoir », qui n’a toujours pas été tranchée par les négociations.
L’application de l’accord militaire se heurte à cette question politique non résolue, à l’origine de deux interprétations différentes du texte.
Selon l’accord de désarmement, les Tchétchènes peuvent conserver des unités d’autodéfense, composées de vingt-cinq personnes, équipées d’armes légères, dans chaque village. Les Russes doivent, eux, se retirer de Tchétchénie en y maintenant seulement deux brigades, l’une du ministère de l’intérieur, l’autre de l’armée. Mais Moscou, qui n’a toujours pas amorcé son retrait, refuse d’autoriser ces « groupes d’autodéfense » dans les régions où le pouvoir russe a été rétabli. Et alors que, déjà, les combattants tchétchènes, un temps repoussés dans les montagnes du Sud, ont de nouveau investi la plupart des localités de Tchétchénie.
C’est cette situation sur le terrain favorable aux Tchétchènes, difficile pour les Russes, qui explique sans doute en partie l’intransigeance des indépendantistes et la volonté de conciliation de Moscou.
RISQUE D’ENCERCLEMENT
En cas de reprise des hostilités, les troupes russes se retrouveraient en fait quasi encerclées. « Il n’y a plus de lignes de front », soulignait récemment un chef militaire russe. « La Russie a perdu la guerre », écrivait, mardi 15 août, le quotidien Moskovski Komsomolets.
A quatre mois des élections législatives, le pouvoir russe peut aussi difficilement se permettre la reprise d’une guerre impopulaire. Tandis que les Tchétchènes ont, eux, intérêt à jouer la montre, pour voir si d’éventuels changements à Moscou ne leur seront pas favorables.
Après avoir promis une réaction violente à son ultimatum, le Kremlin semble donc continuer de miser sur les divisions dans le camp tchétchène pour obtenir une application de l’accord de désarmement qui lui soit favorable. Mais le défi d’Aslan Maskhadov montre que les divergences entre Tchétchènes sont sans doute moins grandes que Moscou l’espérait. Et qu’elles sont peut-être destinées à gagner du temps et des positions.
JEAN-BAPTISTE NAUDET