Boris Eltsine n’a pas attendu de sortir de sa maison de repos, ce qu’il est supposé faire à la fin de la semaine selon son porte-parole, pour prononcer, jeudi 3 août, une courte adresse à la nation sur la nouvelle étape du conflit tchétchène : celle où l’accord militaire signé six jours plus tôt ouvre, a-t-il dit, « la possibilité réelle d’un arrêt total des combats et de l’établissement de la paix ».
Il cherchait, de toute évidence, à effacer l’impression que ce processus, lancé alors qu’il se trouvait au Canada, et qui a abouti durant son hospitalisation après une crise cardiaque, se déroule en dehors de lui. Le président n’a pas cité une seule fois le nom de son premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, qui avait pris la responsabilité d’ouvrir les premières négociations réelles avec les Tchétchènes en pleine crise des otages de Boudennovsk. Boris Eltsine a employé des formules beaucoup plus tranchées que celles dont usent le premier ministre et ses négociateurs sur le terrain (et a fortiori sans doute le texte de l’accord non publié) pour affirmer que la Tchétchénie restera dans la Fédération de Russie.
RETOUR DES « BANDES ARMÉES »
Sans apporter d’éléments nouveaux sur la position de Moscou, le président a ainsi souligné que les futures élections « libres » en Tchétchénie ne serviront pas seulement à élire des « organes locaux », mais aussi à envoyer des députés au Parlement russe ; que la Russie maintiendra en Tchétchénie une brigade de l’armée et une autre des forces du ministère de l’intérieur ; que la condition à la tenue d’élections est le désarmement de « toutes les bandes illégales armées » mots qui avaient perdu cours dans la bouche même des hommes du Kremlin , et que la délégation tchétchène « s’est engagée à faciliter l’arrestation des preneurs d’otages de Boudennovsk ».
Un tel programme, vu de Tchétchénie, semble parfaitement irréaliste, à en croire certains reportages : le chef de l’opération de Boudennovsk est un héros national qui multiplie les interviews aux correspondants russes ou étrangers malgré le « contrôle » de l’armée russe sur le terrain ; le président indépendantiste Djokhar Doudaev s’apprêterait à quitter ses montagnes pour regagner Grozny ; ses partisans tiennent des meetings de « victoire » dans la capitale comme dans les villages, où des groupes de combattants se réinstallent ouvertement aux côtés des campements militaires russes ; la police tchétchène, réarmée car placée sous un commandement prétendument loyal aux autorités de Moscou, parvient peu à peu à contrôler les soldats russes dans Grozny, les empêchant désormais de trop piller les réfugiés de retour dans leurs ruines.
Dans ces conditions, il semble exclu que les Tchétchènes rendent volontairement toutes leurs armes en échange d’un retrait partiel des troupes russes. Mais il est probable qu’ils vont créer les apparences d’un tel désarmement, dans l’espoir que Moscou saisisse cette occasion pour se retirer du « bourbier » tchétchène sans trop perdre la face. Boris Eltsine veut-il jouer ce jeu, du moins jusqu’aux élections législatives de décembre, ou se prépare-t-il à une reprise des combats ? Il a promis de « mater » les forces qui, en Tchétchénie mais aussi « en dehors », sont « intéressées à une poursuite du conflit ». Ce qui laisse toutes les portes ouvertes, d’autant plus qu’il a choisi de continuer à justifier sa guerre : celle-ci s’est déroulée « globalement », a-t-il dit, « dans le cadre de la Constitution russe et du droit international ». Et, qui plus est, pour « défendre des valeurs fondamentales »…
Mais s’il ne peut ignorer que ses partisans, en Russie, sont souvent ceux qui ont le plus applaudi aux massacres dont il porte la responsabilité, il sait aussi que la guerre est très impopulaire. En ce sens, le lancement officiel, jeudi, d’un « mouvement pour la candidature de Boris Eltsine à la présidentielle » de juin 1996 serait plutôt un signe d’espoir…
SOPHIE SHIHAB