Les délégations russe et tchétchène, qui négocient depuis plus d’un mois à Grozny, ont conclu, dimanche 30 juillet, un accord qui prévoit, à terme, un retrait « partiel » des forces russes et le désarmement « par étapes » des combattants indépendantistes. Toutefois, aucun calendrier n’a été fixé et, surtout, aucun compromis n’a été trouvé sur le futur statut de la Tchétchénie, Moscou refusant d’accepter son indépendance.

Six semaines de négociations entre Russes et Tchétchènes à Grozny ont abouti, dimanche 30 juillet, à la signature d’un « accord militaire » qui évite toute référence au statut futur de la Tchétchénie, ce qui représente un succès pour les indépendantistes. Mais la portée de l’accord fut mise en doute moins de vingt-quatre heures après sa signature à l’arraché dans la nuit de samedi à dimanche.

De retour à Moscou, les membres de la délégation gouvernementale russe ont, en effet, usé de formules suggérant qu’ils n’ont pas cédé sur le plan politique, affirmant par exemple que l’accord « représente le commencement de ce que nous appelons l’unité de la Russie » ou que « la Tchétchénie reste un sujet de la Fédération de Russie, du moins selon la Constitution russe ».

UN ACCORD FRAGILE

Côté tchétchène, c’est le président Djokhar Doudaev, retranché dans ses montagnes, qui a introduit, comme à son habitude, une note discordante : téléphonant dimanche au bureau moscovite de la station américaine Radio-Liberté, il a déclaré que l’accord signé à Grozny « n’avait aucune valeur légale » sans sa signature. Dénonçant « les menaces et les pressions » subies par la délégation tchétchène à Grozny, il a même affirmé que celle-ci a été « isolée pendant six jours, virtuellement en état d’arrestation » et privée de moyens de le contacter. Ces délégués ont pourtant affirmé, dimanche, être convenus la veille des termes de l’accord avec Djokhar Doudaev.

Cette confusion prolonge celle qui règne depuis le début des pourparlers, tenus dans un climat de vive tension, avec des affrontements et des morts quotidiens, souvent à Grozny même. Mais il reste que les partisans d’une paix négociée disposent désormais d’un premier document signé. Il prévoit un échange des prisonniers, un désengagement des soldats russes et tchétchènes qui seront séparés par 2 à 4 kilomètres , puis un retrait « partiel » des forces russes et un désarmement « par étapes » des Tchétchènes.

Une commission militaire mixte, avec des observateurs de l’OSCE et des comités locaux, est prévue. Mais aucun calendrier n’a pour l’instant été fixé, ce qui fragilise encore plus un document qui était prêt dès le début des négociations, mais que les Russes ne voulaient pas signer avant d’obtenir une concession sur le statut futur de la Tchétchénie. Pourquoi ont-ils alors renoncé, dimanche, à ce préalable ?

La situation en Tchétchénie même donne une réponse : des militaires russes sur place disent souvent qu’ils doivent « soit partir, soit recommencer la conquête du pays ». Tout montre, en effet, que la « défaite militaire » des Tchétchènes, elle-même relative, cache une victoire politique : la majorité de la population est plus que jamais indépendantiste, des combattants sont à nouveau présents dans les villes et villages « conquis », alors que les déloger totalement des montagnes se révèle trop coûteux en vies de soldats à l’approche des élections législatives de décembre en Russie.

UN EXPLOIT IN EXTREMIS

Déjà, certains postes russes, exposés aux attaques de partisans, ont été levés sur les routes. Des meetings indépendantistes se déroulent à Grozny et dans les villages, alors que les autorités tchétchènes mises en place par l’armée russe ne sont pas parvenues à en organiser un seul.

La délégation russe a donc tenu compte, comme elle l’a souligné, des « réalités ». Mais elle était aussi poussée à obtenir un premier résultat le plus vite possible, avant que ne s’estompe le choc provoqué par la prise d’otages de Boudennovsk, en juin, qui avait permis l’ouverture des négociations. Avant aussi que les adversaires de ce processus dans les arcanes du pouvoir à Moscou ne reprennent l’initiative.

De ce point de vue, la délégation russe, composée de proches du premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, flanqués ensuite de membres de l’administration présidentielle aux positions plus fermes, a peut-être réussi un exploit in extremis. Au moment même où était conclu l’accord de Grozny, Boris Eltsine signait, les 28 et 29 juillet, deux décrets qui traduiraient, selon la télévision privée NTV, une extension des pouvoirs déjà prépondérants du chef de sa garde, Alexandre Korjakov, vieux partisan des solutions de force en Russie.

M. Korjakov a ainsi été nommé, de façon imprévue, à la tête de la direction principale de la protection (G. Ou. O.), qui regroupe les quelque quarante mille hommes de la « garde prétorienne » du pouvoir, et dont l’ancien chef, le général Barsoukov, vient d’être muté à la tête du FSB (ex-KGB). De plus, le général Korjakov aurait autorité, dans certaines circonstances, sur les « ministères de force » qui, en Russie, comportent une dizaine de portefeuilles, dont celui des affaires étrangères.

Pour certains, Alexandre Korjakov, le « conseiller dans l’ombre » du président, détenait déjà, de fait, de tels pouvoirs. Mais leur officialisation est une mauvaise nouvelle pour le chef du gouvernement, comme pour la paix tchétchène qu’il recherche.

SOPHIE SHIHAB

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