Force est de dresser un constat cynique : les dizaines de milliers de morts, les centaines de milliers de réfugiés et les destructions aussi brutales que disproportionnées des villes et villages de cette petite République sécessionniste du Caucase n’ont, malgré les apparences, guère entaché le statut international de la Russie. Depuis le début de cette opération militaire contre les indépendantistes tchétchènes, les Occidentaux ont, malgré les protestations d’usage, accédé à toutes les demandes du Kremlin.
A commencer par le FMI qui, en dépit des conséquences économiques désatreuses de cette guerre coloniale, n’a pas hésité à accorder un prêt massif de 6,5 milliards de dollars à Moscou. De plus, malgré les craintes légitimes qu’a réveillées l’opération tchétchène parmi les pays d’Europe de l’Est, la Russie a réussi à se tailler sur mesure un « statut spécial » dans ses relations avec l’OTAN qui lui donne, de facto, un droit de regard sur l’extension de l’Alliance atlantique à l’Est. Et, aujourd’hui, c’est au tour de l’Union européenne, le premier partenaire commercial de la Russie, de passer l’éponge sur le cimetière de Grozny.
La satisfaction affichée de M. Kozyrev est donc largement compréhensible. Les Quinze avaient, certes, posé plusieurs conditions à la signature de cet accord de coopération, à commencer par la déclaration d’un cessez-le-feu et l’ouverture de négociations en Tchétchénie. Il est vrai que les bombardements aériens aveugles ont cessé depuis plusieurs semaines et qu’un processus de pourparlers est en cours. Les apparences sont donc sauves.
Il reste que les Européens se contentent de peu. Après avoir transformé la Tchétchénie en un champ de ruines, il était prévisible que Moscou finisse, tôt ou tard, par négocier. Toutefois, aujourd’hui encore, l’accès de l’aide humanitaire aux victimes une autre des conditions posées par l’UE demeure précaire et, selon les combattants tchétchènes, les canonnades de l’artillerie lourde russe n’ont pas cessé contre des localités isolées.
Force est également de constater que cette bienveillance occidentale n’a pas été payée de retour. Le jour même de la signature de l’accord de coppération avec l’Union européenne, Moscou a de nouveau joué cavalier seul en s’opposant à toute utilisation de la force en Bosnie. Ce qui prouve, une fois de plus, que le Kremlin est passé maître dans l’art d’exploiter l’embarras des Occidentaux, qui craignent autant une Russie faible, et donc imprévisible, que forte, et donc dominatrice.