BORIS ELTSINE a ajouté une pierre, jeudi 29 juin, à l’entreprise menée par son entourage « libéral » visant à utiliser le choc de la prise d’otages de Boudennovsk pour tenter de sortir le pays du « bourbier tchétchène ». C’est du moins une des explications possibles aux offres de démission, assorties d’autocritiques mais sans effet immédiat, présentées jeudi par une demi-douzaine de responsables des « structures de force », assimilés en Russie au « parti de la guerre ». Elles ont été faites lors d’une réunion du Conseil de sécurité convoqué pour examiner les responsabilités dans l’affaire de Boudennovsk. Présidé par Boris Eltsine, le Conseil s’est déroulé, comme toujours, à huis clos et ses conclusions ont été divulguées par Ivan Rybkine, le président de la Douma (chambre basse du Parlement) où sera reposée samedi la question de confiance au gouvernement de M. Tchernomyrdine.

RENVOI

Ivan Rybkine a annoncé que les responsables qui avaient « pris la mesure de leur responsablité » dans l’affaire de Boudennovsk ont en conséquence « offert leur démission au président ». Parmi eux figurent le ministre de la défense, Pavel Gratchev, le ministre de l’intérieur, Viktor Erine et le ministre des nationalités, Nikolaï Egorov, dont la Douma exigeait le renvoi. Mais il a précisé que Boris Eltsine se réservait jusqu’au 10 juillet pour trancher le sort de chacun, « en fonction du progrès de l’enquête qui se poursuit » sur la prise d’otages. Entre-temps, l’appareil présidentiel espère désamorcer la fronde de la Douma, priée de se satisfaire d’une promesse qu’une partie au moins de ces offres de démission sera acceptée. Des tractations sont d’ailleurs en cours depuis plusieurs jours entre la Douma, le gouvernement et le Kremlin, prélude à un compromis censé éviter une crise politique que personne ne souhaite à six mois des prochaines élections législatives.

Les députés restent pourtant sceptiques sur les chances de voir Boris Eltsine se séparer de Pavel Gratchev. Le ministre de la défense n’aurait d’ailleurs pas fait d’autocritique. Selon l’agence Interfax, il aurait au contraire expliqué que c’est la « défaite militaire » infligée par ses troupes aux Tchétchènes qui les a poussés au terrorisme. Mais le fait qu’il figure dans la liste des repentants le place en situation de faiblesse, au moins pour quelques jours. C’est sans doute un des buts recherchés par l’appareil présidentiel qui a soutenu, après le fiasco de Boudennovsk, l’initiative de paix du premier ministre Viktor Tchernomyrdine.

Pavel Gratchev ne s’était pas privé, en effet, de mettre en doute l’utilité des négociations engagées depuis une semaine à Grozny avec des représentants du président indépendantiste tchétchène Djokhar Doudaev. Il a été suivi par des dirigeants du ministère de l’intérieur, qui ont tenu une conférence de presse pour dire tout le mal qu’ils pensaient de leurs dirigeants politiques. A commencer par Viktor Tchernomyrdine qui aurait, selon eux, ordonné lui aussi l’assaut sur l’hôpital conjointement avec Boris Eltsine et le ministre de l’intérieur Erine avant de donner un contre-ordre. Cette grogne ouverte des « structures de force », lassées de servir de boucs émissaires des erreurs du Kremlin, est largement commentée dans les médias russes, qui spéculent sur la possibilité d’une nouvelle descente de chars dans les rues de Moscou. Mais les ministres concernés semblaient moins occupés, depuis une semaine, à préparer un coup de force qu’à se rejeter mutuellement les responsabilités du drame de Boudennovsk et à se placer au mieux dans la nouvelle réorganisation des structures chargées de « la lutte contre le terrorisme », annoncée jeudi par le président russe. ÉLECTIONS « LIBRES »

A Grozny, un des représentants du gouvernement aux négociations menées avec les Tchétchènes, l’ancien membre du comité central du PCUS Arkadi Volski, a affirmé, jeudi, que les offres de démission des « ministres de force » n’influeraient pas sur le processus de paix. Mais on est bien obligé de constater que celui-ci battait de l’aile, après être entré dans sa seconde phase celle d’un accord sur l’organisation, à l’automne, d’élections « libres » en Tchétchénie. Pour la première fois, le représentant sur place de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a fait état de ses doutes sur la possibilité d’une issue rapide des négociations. La Tchétchénie reste en effet en état de guerre malgré un cessez-le-feu théorique et les affrontements semblent même se multiplier depuis quelques jours. L’armée russe continue à bombarder des régions toujours contrôlées par des Tchétchènes qui n’entendent nullement déposer les armes, alors qu’à Grozny même, les forces russes continuent à subir des attaques. Dans la nuit de mercredi à jeudi, un immeuble a brûlé à la suite de tirs, alors que, dans la journée, des affrontements ont été évités de justesse autour du bâtiment de l’OSCE, où des centaines de femmes, réclamant le départ de l’armée russe, manifestent depuis une semaine.

Cette tension pousse apparemment les « libéraux » de l’appareil présidentiel à tout tenter pour sauvegarder leur avantage sur le « parti de la guerre ». Le chef de l’administration de Boris Eltsine, Sergueï Filatov, a ainsi annoncé jeudi que la Cour constitutionnelle va enfin examiner la légalité d’un décret de Boris Eltsine ayant déclenché l’intervention militaire en Tchétchénie. Ce « procès » n’a guère de chance d’aboutir à une condamnation du principe même de la guerre, mais l’intention est louable.

SOPHIE SHIHAB

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