Cette opération sans précédent, qui a ajouté un nouveau traumatisme à ceux que subit la Russie, s’est achevée, mardi à minuit également, avec le retour du commando tchétchène de Chamil Bassaev, épuisé mais triomphant, dans sa « zone non occupée », les montagnes du sud du pays. Deux heures auparavant, il avait abandonné, dans un village tchétchène proche de la frontière, les derniers cent quarante otages qui s’étaient portés volontaires pour leur servir de boucliers humains. « RETRAIT PROGRESSIF »
Les forces russes n’ont pas tenté d’assaut contre leur colonne, mais la télévision russe, annonçant leur libération sur un ton de profond soulagement, a clairement suggéré dans ses commentaires que les « terroristes tchétchènes » menaçaient toujours leur vie. Dans la soirée, la première chaîne a diffusé un film longtemps promis : un documentaire de propagande justifiant la guerre menée contre le régime « dictatorial, mafieux et terroriste » de Djokhar Doudaev dont les outrances pouvaient être perçues même par des « Russes moyens ».
Qu’est-ce qui a pu alors pousser le bras droit du président tchétchène à déclarer, au même moment, que la guerre était finie ? Les deux premiers jours de négociations ont abouti à un accord de principe : en échange de la promesse de ne plus recourir à des actes terroristes et d’accepter un maintien de forces russes dans leur pays, les Tchétchènes ont obtenu l’inscription à l’ordre du jour de négociations du principe d’un « retrait progressif » des soldats russes et la mise en place de lignes de démarcation.
C’est peu et c’est beaucoup : les rebelles peuvent espérer garder des sanctuaires, alors que le « parti de la guerre » en Russie Boris Eltsine le premier ne faisait pas mystère de sa volonté d’« anéantir » toute résistance, quitte à bombarder les derniers recoins des montagnes. L’objectif, après des dizaines de milliers de morts en six mois, s’est révélé au-dessus des moyens de la Russie : non seulement ses forces ne peuvent pas « tenir » la montagne (comme le montre le retour de Chamil Bassaev à quelques kilomètres de Vedeno, son fief dont Moscou avait annoncé la « chute » il y a deux semaines), mais elles ne peuvent rien non plus contre la poursuite d’actes « terroristes » dans la Tchétchénie occupée, voire, désormais, en Russie-même.
Est-ce à dire que la raison a prévalu à Moscou et que le « parti de la guerre » devra faire amende honorable ? Rien n’est moins sûr. D’une part, les négociateurs russes à Grozny dirigés par un vice-ministre des nationalités n’ont aucun pouvoir de décision. De plus, la désinformation officielle sur le conflit n’a pas baissé d’un ton, même si la télévision indépendante NTV, peu diffusée, a notamment su faire, de nouveau, preuve d’audace. Boris Eltsine, de son côté, est réapparu publiquement, mardi, pour annoncer qu’il envoyait son homme de confiance et représentant éminent des « faucons », le secrétaire du Conseil de sécurité, Oleg Lobov, par ailleurs protecteur de la secte Aoum à Moscou, trouver à Boudennovsk les coupables qui ont laissé des terroristes pénétrer en Russie. Et c’est du bout des lèvres que le président a finalement reconnu que son premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, « a pris les bonnes décisions et n’a pas fait d’erreur » en choisissant de céder, dimanche, à Chamil Bassaev.
Les sanctions que pourraient proposer Oleg Lobov ne devraient être connues que la semaine prochaine. Mais elles ont peu de chances de bouleverser la hiérarchie du Kremlin. D’ici là, des débats houleux sont attendus à la Douma dès mercredi 21 juin, jour où une nouvelle motion de censure contre le gouvernement doit être déposée. Boris Eltsine a déjà prévenu que, de toutes façons, « tout se passera comme il le décidera lui-même ».
Pour tenter de prévenir l’orage, Viktor Tchernomyrdine, tout en déclarant que son objectif principal est désormais de « mettre fin au bain de sang en Tchétchénie », avait multiplié, lundi, les paroles de fermeté : « Il n’y aura aucune pitié » pour les terroristes, a-t-il dit, précisant qu’un mandat d’arrêt a été lancé à Stavropol contre Chamil Bassaev et six de ses hommes. M. Tchernomyrdine a tenu à souligner que « tout sera fait dans le seul cadre de la Constitution russe », une phrase pouvant être interprétée comme une critique de ceux qui ont lancé la guerre en Tchétchénie. Mais il reste que le premier ministre et les quelques « libéraux » de l’entourage présidentiel n’ont pas de réelle stratégie de rechange à une guerre qu’ils ont également approuvée.
SOPHIE SHIHAB