Les négociations offertes par Moscou aux combattants tchétchènes sont-elles, une fois de plus, un simple jeu macabre destiné à gagner du temps ? C’est ce que semble craindre Djokhar Doudaev. Du fin fond de ses montagnes, le président tchétchène a ainsi téléphoné, dimanche, au bureau moscovite de Radio-Liberté pour rappeler qu’il avait toujours réclamé de telles négociations, mais que toutes les précédentes initiatives du Kremlin avaient été suivies par un « redoublement de l’intensité des attaques russes ».

Toutefois, les dernières propositions du premier ministre Viktor Tchernomyrdine semblent plus crédibles au premier abord. Assorties d’un ordre de cessez-le-feu, donné dès dimanche à 20 heures, elles ont en effet été faites lors de conversations téléphoniques avec le chef des « bandits », Chamil Bassaev, filmées et transmises en direct à la télévision. Un cas rare dans l’histoire des prises d’otages, et d’autant plus étonnant en Russie, où la « transparence » est la dernière des vertus. « Des millions de téléspectateurs nous entendent », lançait ainsi le premier ministre en prenant ses engagements. Ceux-ci tenaient en trois points : un cessez-le-feu en échange de la libération des femmes, enfants, malades et vieillards ; des négociations, dès lundi, avec des représentants de Djokhar Doudaev ; un sauf-conduit, enfin, pour Bassaev et ses hommes vers le sud de la Tchétchénie.

Durant les six conversations retransmises par la télévsion, on n’entendait presque jamais Chamil Bassaev. Selon le script du dernier dialogue, transmis aux médias, il disait : « Je ne suis pas coupable de ce que votre pays ne respecte pas ses engagements ; vos soldats tirent sur l’hôpital ; mes hommes ne vous croient plus. » Et Viktor Tchernomyrdine de répondre : « Je ne comprends pas. Si on continue ainsi… Il y a des gens qui ne sont pas intéressés à ce que ça marche… »

A Moscou, de nombreux responsables sont opposés à la solution de compromis prônée par le premier ministre. Dès le début des événements de Boudennovsk, les partis démocratiques et l’opposition en général soutenus, semble-t-il, par la majorité de la population réclamaient, certes, des négociations, mais Pavel Gratchev, le ministre de la défense, et Anatoli Koulikov, le commandant des opérations en Tchétchénie, affirmant qu’on ne négociait pas avec des « terroristes », se prononçaient pour une intervention militaire. C’est à eux que Boris Eltsine a donné raison : à Halifax, il a reconnu avoir pris la décision de lancer un assaut contre l’hôpital de Boudennovsk « avec le ministre de l’intérieur, Viktor Erine ». Théoriquement, ce coup de force devait avoir réussi avant son retour du Canada. Ce fut un échec sanglant.

Viktor Tchernomyrdine, qui depuis six mois se pose en pacifiste face au « parti de la guerre », lança alors son « initiative de paix ». Les commentateurs russes ont souligné que le terne premier ministre est apparu « transformé » dans ses prestations téléphoniques télévisées : énergique, déterminé, redonnant même confiance à une population traumatisée par le vide du pouvoir au Kremlin. « C’est moi qui décide de tout ce qui se passe dans ce pays », osa même dire le premier ministre à Chamil Bassaev, à la stupéfaction des téléspectateurs, habitués à n’entendre de telles phrases que dans la bouche de Boris Eltsine.

Pourtant, Viktor Tchernomyrdine est aussi apparu nerveux, parfois maladroit. Les commentateurs russes ont hésité entre deux explications. Soit le premier ministre, obligé de parler d’égal à égal avec un « bandit », cherchait à cacher son embarras, tutoyant parfois son interlocuteur ou écartant ostensiblement l’écouteur. Soit sa nervosité était due au risque que lui fait courir le fait de ravir le « beau rôle » à Boris Eltsine. Ce qui pourrait se retourner contre lui avec fracas si l’opération qu’il pilote tourne mal.

SOPHIE SHIHAB

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