Les sommets du G 7, c’est entendu, ne sont pas faits pour prendre des décisions ; ils sont d’abord un forum de consultations entre les dirigeants des sept plus grands pays industrialisés (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Japon), qui se considèrent, à juste titre, comme des alliés très proches. De ce point de vue, le sommet d’Halifax n’a pas dérogé à la règle. Pourtant, cette fois, l’optimisme de façade, conforme à la tradition, laisse une impression de malaise.
Hormis l’adoption de principe d’un programme préparé à l’avance destiné à lutter contre les crises financières les plus aiguës, du type de celle qu’a traversée le Mexique à la fin de l’année 1994, les conversations de Halifax n’ont pas débouché sur grand-chose. Elles n’ont notamment pas permis de rapprocher les points de vue entre Américains et Européens, qui entretiennent des litiges de plus en plus nombreux, pas plus qu’elles n’ont fait progresser le différend commercial entre les Etats-Unis et le Japon.
De part et d’autre de l’Atlantique, les contentieux économiques s’accumulent. Ils vont du dollar, dont la sous-évaluation pénalise les exportateurs du Vieux Continent, mettant en péril la stabilité monétaire en Europe et ébranlant le marché unique, aux querelles commerciales et à l’aide au tiers-monde. Le chapitre politique enregistre aussi quelques débâcles : absence américaine en Bosnie, incapacité à s’entendre sur la redistribution des rôles en matière de défense (la constitution du pilier européen de l’OTAN), entre autres.
La permanence de ces difficultés n’empêche pas la qualité de l’ambiance euro-américaine. Ce G 7 s’est déroulé dans un climat convivial. Pas d’acrimonie, des échanges de vues directs, sans que personne s’offusque du franc parler de tel ou tel : on est vraiment entre amis. Mais ce n’en est que plus troublant. Car cette impuissance durable à aller de l’avant, masquée par la chaleur du dialogue, est porteuse de dangers : l’accumulation des points de tension pourrait déboucher sur une crise euro-américaine.
L’une des particularités de la situation, qui la rend un peu désespérante, est que, sur certains points au moins, le compromis, même entre gens de bonne compagnie, peut paraître difficile. Prenons l’exemple du dollar. Les Européens pestent légitimement contre sa chute, mais les Américains ont beau jeu de faire valoir que le billet vert, par rapport au dollar canadien, au peso mexicain ou à d’autres devises du continent américain, reste dangereusement fort pour l’équilibre de leur commerce extérieur.
Ailleurs, quand il s’agit par exemple de l’aide aux pays en voie de développement, quelle que soit la bonne volonté de l’administration Clinton, le débat se heurte aux positions de principe de la nouvelle majorité républicaine au Congrès, constituée d’idéologues et non d’hommes de compromis. Face aux positions des Newt Gingrich et autres Jesse Helms, la ligne de fracture euro-américaine paraît d’autant plus dangereuse qu’elle devient d’ordre culturel.
ALAIN FRACHON ET PHILIPPE LEMAITRE