AVEC le raid sanglant des combattants tchétchènes sur Boudennovsk, en Russie même, et l’assaut, tout aussi sanglant, donné par les troupes russes contre l’hôpital de la ville, le conflit tchétchène a franchi un nouveau degré dans l’horreur et dans l’absurdité. Aux dizaines de milliers de civils tchétchènes massacrés par l’armée de Moscou, aux villes et aux villages de la République indépendantiste réduits en cendres, aux soldats russes victimes, eux aussi, d’un combat dont ils ne saisissent souvent pas l’objet, il faut maintenant ajouter, sur cette liste écrite en lettres de sang, les noms des morts et des blessés de Boudennovsk.

Toute prise d’otages est odieuse et doit être condamnée comme telle. Celle de Boudennovsk comme les autres. Il serait tout aussi odieux et le ministre français des affaires étrangères, Hervé de Charette, n’en a pas été loin de faire comme si l’attaque de la ville russe par les commandos tchétchènes n’était pas, aussi, la conséquence désastreuse de la politique de guerre et de répression menée par le Kremlin depuis le 11 décembre 1994, date de l’entrée des troupes russes en Tchétchénie. La demande de négociation sur la fin des combats et la recherche d’un nouveau statut pour la Tchétchénie, exigée par le commando mené par Chamil Bassaev, s’est toujours heurtée à une fin de non-recevoir de la part du Kremlin.

Cette négociation est, pourtant, la seule issue possible, comme se révèle nécessaire la reconnaissance d’une autonomie du peuple tchétchène, dont la résistance prouve, à elle seule, la volonté de s’éloigner du giron de Moscou. Cette résistance va continuer, et la prise d’otages de Boudennovsk montre qu’elle risque de prendre des aspects de plus en plus violents et désespérés. La violence et le désespoir de ceux qui savent qu’ils n’ont plus rien à perdre et sont désormais prêts à utiliser tous les moyens, même les plus barbares, pour faire connaître leur cause.

En portant le fer sur le territoire même de la Fédération de Russie, les commandos tchétchènes ont également pris le risque d’embraser une contrée terriblement fragile. Les menaces des cosaques du Caucase du Nord, toujours prêts à en découdre, à l’égard des réfugiés tchétchènes vivant dans cette région, peuvent être prises au sérieux, comme le risque d’affrontements entre les différents peuples cohabitant dans le nord du Caucase.

A moins d’admettre, une fois pour toutes, que la guerre va continuer avec, comme conséquence inéluctable, de rayer purement et simplement la Tchétchénie de la carte, les Occidentaux ne peuvent plus se contenter de regrets de façade et doivent, avant qu’il ne soit trop tard, peser directement sur Moscou pour exiger la recherche d’une solution pacifique. En utilisant les crimes de Boudennovsk pour absoudre Boris Eltsine des massacres de Grozny et se laver les mains de l’écrasement du peuple tchétchène, l’Europe montrerait, une nouvelle fois, son inconséquence et sa couardise.

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