Vis-à-vis de la Russie, le ton est empreint de respect et le message d’une immense compréhension : on est dans la tradition gaulliste, jusque dans cette manière d’occulter les violations des droits de l’homme en Tchétchénie. Comme le faisait de Gaulle, Jacques Chirac parle « de la très grande nation russe » et du « très grand peuple russe (…) qu’il ne faut pas sous-estimer », encore moins « humilier », parce qu’il traverse aujourd’hui « une période difficile ». Le président Eltsine avec lequel M. Chirac s’est entretenu près d’une heure vendredi soir, en marge du G 7 ne veut, quant à lui, « que redresser la situation dans son pays ».
Le drame tchétchène, « vieux conflit » que la France « regrette », s’explique par l’histoire. Dès lors, personne ne s’étonnera si la France, exerçant pour quelques semaines encore la présidence de l’Union européenne (UE), poussera pour que soit signé l’accord intérimaire conclu entre l’UE et la Russie, et un moment gelé pour cause de Tchétchénie. Pour tous ses péchés commis à Grozny, la sainte Russie va bientôt être définitivement absoute.
Même tolérance à l’égard des positions pro-serbes défendues par la Russie dans le conflit bosniaque. Là encore, il suffit de se promener à Moscou ou à Leningrad, il faut en revenir à l’histoire et à la religion, pour mesurer, selon M. Chirac, la solidarité que peut éprouver l’opinion publique russe pour les Serbes : « On ne peut pas le leur reprocher souligne le président et Eltsine ne peut pas ne pas en tenir compte. » Le chef de l’Etat explique que les Russes se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU autorisant la création de la Force de réaction rapide (FRR) sans doute parce que les membres du G 7 avaient omis, à tort, jeudi soir, d’associer M. Eltsine à la rédaction de leur communiqué sur la Bosnie. Absolution, donc, là aussi.
Le ton est plus sévère pour la majorité républicaine au Congrès des Etats-Unis accusée de commettre « une erreur morale et politique » quand elle entend réduire la participation des Etats-Unis aux budgets d’aide aux pays les plus pauvres. « On ne peut pas passer son temps à dire qu’on défend les droits de l’homme et la démocratie » dans le monde et ne « pas en tirer les conséquences » quand il s’agit de venir à l’aide des plus démunis. M. Chirac a laissé transparaître l’inquiétude que lui inspirent les tendances à l’isolationnisme de la majorité républicaine au Congrès.
TON ET GESTUELLESi le contact a été « vigoureux » pour reprendre une expression de son entourage lorsque le chef de l’Etat s’est entretenu à Washington avec les chefs du Congrès, Newt Gingrich et Robert Dole, le courant est, en revanche, très bien passé avec Bill Clinton. Ce dernier n’a cessé d’avoir des mots flatteurs pour le président français et la politique de Paris dans les Balkans.
M. Chirac relève que l’Union européenne et les Etats-Unis sont deux entités d’égale richesse, ou à peu près, mais que la première consacre quelque 30 milliards de dollars à l’aide au développement et les seconds seulement 9 milliards. Le ton et la gestuelle se font très gaulliens ample mouvement de la main, silhouette un tantinet voûtée pour lancer que « l’Union européenne se retrouve ainsi être le premier bailleur de fonds dans le monde, bref qu’elle paye, quand les Etats-Unis veulent assurer [seuls] la responsabilité politique des affaires du monde ». « Ça ne peut pas durer », dit M. Chirac, convaincu que la nouvelle relation transatlantique en gestation devra se faire autour d’un pilier européen qui, sur la défense, la politique étrangère et l’économie, devra parler sur un pied d’égalité avec les Etats-Unis.
ALAIN FRACHON ET PHILIPPE LEMAITRE