Selon les informations russes, des commandos tchétchènes auraient attaqué la ville russe de Boudenovsk, mercredi 14 juin, tuant des civils et prenant des centaines de personnes en otage. Cette opération, qui intervient à la veille du sommet du G7 à Halifax où doit se rendre Boris Eltsine, a été dénoncée par les responsables tchétchènes comme une manipulation de Moscou.

Que s’est-il réellement passé, mercredi 14 juin, dans la ville de Boudenovsk (50 000 habitants, à une centaine de kilomètres au nord de la Tchétchénie), justifiant la mise en alerte de la Russie contre « la menace terroriste » ? Selon les agences de presse russes, des combattants tchétchènes y détenaient, jeudi matin, deux à trois cents otages, au lendemain d’un raid qui aurait fait des dizaines de morts et de blessés. Mais alors que les autorités russes annonçaient la mise en état d’alerte de la région, l’annulation des vols aériens vers cette destination et la renforcement des mesures de sécurité à Moscou, les bulletins télévisés de la soirée n’avaient pas grand chose à montrer : un bâtiment de Boudenovsk, un car et une voiture brûlés, deux ou trois cadavres dispersés dans la ville et un habitant brandissant un grand drapeau tchétchène, affirmant qu’il avait été « hissé sur la mairie par les attaquants ».

Les informations, données par les agences russes, dressaient un tableau beaucoup plus tragique, tout en se contredisant au fil des heures. Citant des sources locales du FSB (ex-KGB), l’agence Interfax avait donné la première l’alerte : une quarantaine d’inconnus arrivés dans la matinée à bord de deux camions ont tenté de prendre d’assaut le bâtiment local de la police, mais furent repoussés au prix de « nombreux morts et blessés ». Puis les agences ont affirmé que l’attaque n’avait pas été repoussée, que les assaillants avaient pris jusqu’à 300 otages et réclamaient « le départ immédiat des troupes russes de Tchétchénie ». Le nombre des morts et des blessés, enfin, s’élèverait à plusieurs dizaines.

Dans la soirée, un communiqué officiel du gouvernement russe donnait sa version : « Les bandits étaient une centaine à bord de deux camions militaires, portant des uniformes et équipés d’armes automatiques. Ils ont tenté de prendre d’assaut le poste de police puis se sont séparés en petits groupes, tirant et mettant le feu à des maisons, à des voitures et à un bus où se trouvaient six passagers. » « Ces assaillants, poursuit le communiqué, ont installé sur le toit d’un bâtiment en flammes une mitrailleuse de gros calibre, puis ont pris position sur l’hôpital, menaçant de tuer plusieurs dizaines de personnes. Des écoliers ont été pris en otage dans la ville et d’autres otages ont été emmenés vers le village voisin de Pokoïnoe. »

Le communiqué officiel indique, enfin, que « les forces de l’ordre repoussent vers le sud les assaillants qui se protègent avec des boucliers humains » et que « la plupart des terroristes ont été tués, quelques-uns ayant été arrêtés et interrogés ». Le président tchétchène, Djokhar Doudaev, a pour sa part déclaré jeudi, selon l’agence Tass, qu’il n’avait « donné aucun ordre pour une telle attaque qui discrédite la lutte de libération du peuple tchétchène ».

L’arrivée sur place des ministres russes de l’intérieur et de la sécurité a été annoncée dans la soirée. Ces derniers auraient engagé des négociations avec des assaillants qui détiendraient des otages dans l’hôpital. Ces négociations se poursuivaient toujours jeudi matin. Un premier bilan du FSB précisait que l’opération avait fait 17 morts parmi la population, 12 parmi les forces de l’ordre et 8 parmi les attaquants. Ces derniers, selon le commandement militaire à Grozny, cité jeudi par l’agence Tass, auraient été « dirigés par Chamil Bessaev », un des deux plus célèbres commandants des forces du général Doudaev. Boris Eltsine, qui doit quitter vendredi Moscou pour Halifax, s’est dit « outragé par l’attaque terroriste tchétchène ». Cité par son porte-parole, il a ordonné « de rétablir l’ordre constitutionnel » dans la région et de « libérer immédiatement les otages ». Le ministère des affaires étrangères a pour sa part profité de l’occasion pour justifier la guerre en Tchétchénie. Dans un communiqué, il appelle le sommet du G7 à « prendre des mesures efficaces contre le terrorisme » et affirme que « l’action terroriste de Boudenovsk doit ouvrir les yeux des responsables politiques étrangers (…) qui ont choisi de faire la leçon à la Russie plutôt que de lui apporter un soutien efficace dans la lutte contre le séparatisme et le crime organisé ». Jeudi matin, la radio indépendante Echo de Moscou annonçait l’interpellation à Moscou de Hamad Kourbanov, représentant du général Doudaev dans la capitale russe, où des « mesures prophylactiques dans les milieux tchétchènes » étaient annoncées. M. Kourbanov avait affirmé la veille que « l’opération de Boudenovsk était une provocation montée par la Russie ».

SOPHIE SHIHAB

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