Se demander quelles relations on peut établir aujourd’hui avec Moscou, c’est, d’abord, s’interroger sur un pays qui, depuis maintenant six mois, écrase le peuple tchétchène avec toute la puissance de son armée. C’est aussi se poser la question d’un Etat à la dérive, aux mains des mafias, qui a été, jusqu’à maintenant, incapable de jeter les bases d’une société civile suffisamment attrayante pour faire regretter l’ordre totalitaire des communistes. C’est, enfin, réfléchir sur les conséquences, pour le reste du monde, de ce « nouveau désordre russe », en ce qui concerne tant l’écologie que la criminalité ou l’économie. En faisant assaut de civilités auprès de Boris Eltsine pour lui demander de les aider dans leur périlleuse négociation avec les Serbes, les Occidentaux ne se résignent-ils pas à être doublement otages : des milices serbes de M. Karadzic et des maîtres du Kremlin ?
Mais peut-on ignorer un pays qui reste toujours le plus étendu du monde, encore un des mieux armés et qui compte toujours des « alliés » fidèles ? L’acceptation, lundi, par Moscou de prendre sa place dans le « partenariat pour la paix » proposé par l’Otan pourrait permettre d’esquisser une nouvelle architecture des relations entre la Russie et l’Occident. L’Ouest doit toutefois savoir qu’il faudra payer le prix fort : en plus des 6 milliards de dollars déjà prêtés à la Russie par le FMI, il faudra aussi vraisemblablement renégocier les accords sur la réduction des armements conventionnels, qui gênent précisément tant les militaires russes dans le Caucase.
Toute tentative d’intégrer Moscou dans le jeu diplomatique est donc dangereuse à partir du moment où elle n’est qu’une fin en soi, un exorcisme permettant aux Occidentaux de continuer à biaiser et à la Russie de tirer les dividendes de ses invitations aux différents clubs sans jamais payer un quelconque droit d’entrée ni se croire obligée de respecter les règles en vigueur. Le temps est donc venu pour les Européens de faire savoir qu’ils ont, eux aussi, des intérêts vitaux qu’il s’agit de prendre en compte.
Les Russes peuvent certainement apporter leur contribution à la mise en place d’une architecture de paix en Europe. Comme ils doivent pouvoir compter sur le concours de l’Occident pour les aider à gagner toutes leurs batailles. A condition qu’ils luttent contre la misère et non contre les Tchétchènes, contre la corruption et non contre la presse indépendante, contre l’économie mafieuse et non contre les quelques entrepreneurs libres. A ce moment-là seulement Moscou pourra légitimement revendiquer le rôle d’arbitre.