La Tchétchénie, dont Boris Eltsine ne souhaitait pas parler à Halifax, a fait de nouveau irruption sur la scène internationale avec la prise d’otages de Boudennovsk. Si l’exigence principale des assaillants l’ouverture de négociations sur un règlement négocié de la guerre en Tchétchénie correspond peut-être à ce que demandait la « communauté internationale », le porte-parole du département d’Etat américain, Nicolas Burns, a déclaré, dès jeudi 15 juin, qu’« il ne peut y avoir aucune justification ni aucun soutien à un tel acte de terrorisme ». Toutefois, selon son porte-parole, le premier ministre canadien, Jean Chrétien, l’hôte du sommet, ne manquera pas de dire au président russe que « ce qui se passe à Boudennovsk montre la nécessité d’un début immédiat des négociations ».

Sur place en Tchétchénie, la mission de l’OSCE a fait savoir, jeudi, qu’un de ses représentants « était en route pour rencontrer le commandement de Djokhar Doudaev » pour obtenir de ce dernier un désaveu de la prise d’otages. Dans une déclaration transmise jeudi par l’agence Itar-Tass, le président Doudaev avait en effet soutenu qu’il n’avait donné aucun ordre en ce sens à aucune des unités restant sous ses ordres, et qu’une telle action « ne sert pas les intérêts de la lutte de libération nationale du peuple tchétchène ». L’OSCE voudrait aussi obtenir de Djokhar Doudaev l’engagement que d’autres actions en territoire russe ne seront plus entreprises. Le président tchétchène, qui avait plusieurs fois menacé de « faire trembler le sol sous la Russie » si celle-ci attaquait son pays, soutenait, ces derniers temps, que des actions terroristes en Russie ne seront pas menées tant qu’il resterait maître de la situation. Mais s’il devait perdre le contrôle de ses hommes en raison de la situation militaire, ajoutait-il, « il ne pourrait plus garantir que, par désespoir, des Tchétchènes ne passent de leur propre initiative à ce genre d’action ».

LE MYSTÈRE DEMEURE

Moscou a réaffirmé, jeudi, que les forces russes ont détruit le système de communication des commandants tchétchènes réfugiés dans les montagnes, et le chef de l’opération de Boudennovsk, Chamil Bassaev, a expliqué qu’il a agi de sa propre initiative, sans en référer à Doudaev. Ce que beaucoup de Tchétchènes auront du mal à croire, dans la mesure où Bassaev est le numéro trois de la hiérarchie rebelle et le plus populaire de celle-ci.

Un autre mystère demeure : comment deux cents hommes du groupe de Bassaev, que tous les services russes devaient surveiller au plus près, ont pu quitter les montagnes à bord de camions transportant des armes lourdes et se retrouver libres d’agir pendant des heures, dans une ville située à une centaine de kilomètres au nord de la Tchétchénie ? Chamil Bassaev explique avoir « acheté » les officiers russes commandant les postes de contrôle, dont certains auraient même « escorté » les futurs preneurs d’otages sur une partie du parcours. A Moscou on avance que les deux camions transportant les hommes de Bassaev ont été présentés aux postes de contrôle comme transportant des cercueils de soldats russes tués dans les combats. Certains commencent à émettre une troisième hypothèse : Moscou, au courant de l’opération en préparation, l’aurait laissé se dérouler. Soit pour obtenir un soutien des Occidentaux à Halifax. Soit pour créer un choc dans l’opinion, permettant au Kremlin d’engager des négociations sans perdre la face. Les déclarations de Boris Eltsine diffusées jeudi à Moscou plaident pour la première explication : selon lui, les événements de Boudennovsk, « d’un cynisme et d’une cruauté sans précédent », prouveraient qu’il n’y a pas d’interlocuteurs valables parmi les combattants tchétchènes et « a mis un point final au débat sur le vrai caractère de l’ancien régime de Doudaev ».

SOPHIE SHIHAB

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