Quant à M. Eltsine, il presse son armée d’achever ou de suspendre sa sale besogne au plus vite pour être fin prêt pour faire la fête. Quelle fête ? Celle qui célébrera le cinquantième anniversaire de la victoire de la liberté sur la barbarie nazie.
Une barbarie se penche sur une autre pour la saluer. Elles n’ont que cinquante ans de différence. L’une est l’aînée de l’autre. La démarche est la même. Les méthodes sont identiques : il s’agit d’écraser toute résistance en Tchétchénie, d’éradiquer, nettoyer, brûler, de ne rien laisser de l’âme tchétchène qui a eu l’audace de vouloir vivre sa différence culturelle et religieuse.
Ce sera sur les cendres de tous ces feux éteints in extremis (?), ce sera sur la poussière des corps carbonisés, sur des ruines de maisons dynamitées avec ses occupants, que des chefs d’Etat viendront, le 9 mai prochain, porter un toast à la liberté ! La liberté de faire le ménage chez soi, la liberté de ne porter aucune responsabilité.
Un peu de décence ! Un peu de courage ! On ne se fait plus d’illusion sur les démocraties qui interviendraient en Bosnie, au Rwanda ou en Tchétchénie. On sait leur impuissance et leurs intérêts. Mais, au moins, que les dirigeants de ces démocraties n’aillent pas faire la fête dans la maison des morts, serrer la main de ceux qui donnent des ordres pour égorger les populations civiles et leur délivrer ainsi un brevet de respectabilité en leur disant : « Après tout c’est une affaire intérieure. »
Le siècle est moche. On solde les vies humaines. Un peu partout, elles ne valent pas grand-chose. Même si elles ne valent rien, rien ne les vaut. Alors, messieurs les responsables, ne faites pas le voyage de Moscou le 9 mai. Cet anniversaire mérite d’être célébré ailleurs, sur une terre digne et avec des hommes dignes.
PAR TAHAR BEN JELLOUN