Les opérations militaires en Tchétchénie seront suspendues du 1er au 10 mai. + Un geste minimum envers les dirigeants occidentaux qui seront à Moscou le 9 mai.

La Russie veut faire un effort et suspendre les combats en Tchétchénie, le temps pour les chefs d’Etat occidentaux qui doivent se rendre à Moscou pour le 9 mai de participer sans état d’âme aux cérémonies du cinquantième anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. Le président russe Boris Eltsine devait donc signer le mercredi soir un décret instituant un moratoire sur les opérations militaires en Tchétchénie « pour la période des fêtes de mai », vraisemblablement du 1er au 10 mai. « C’est une pratique courante chez nous de nettoyer les podiums (avant une fête), et c’est ce qu’on est en train de faire avec la Tchétchénie , relevait récemment le député Vladimir Loukine, président de la commission des affaires étrangères de la Douma (chambre basse). Mais toute la question est de voir si la poussière revient une semaine après le départ des invités. » Parmi ceux-ci, les présidents américain Bill Clinton et français François Mitterrand, le chancelier allemand Helmut Kohl ou le Premier ministre britannique John Major que la poussière tchétchène gêne un peu. Personne n’ose croire que le Kremlin ira au-delà de cette opération de relations publiques, et qu’il a l’intention réelle de cesser les hostilités avant d’avoir mis à genoux la république indépendantiste de Tchétchénie qui résiste depuis le 11 décembre. Moscou a d’ailleurs annoncé mercredi la création d’une nouvelle armée au Caucase du Nord. La 58e armée sera mise en place le 1er juin pour prévenir la « situation insta-ble » en Tchétchénie. Cette décision défie l’Occident car elle compromet l’application par la Russie du traité CFE. Celui-ci prévoit en effet qu’à partir de novembre prochain, la Russie ne pourra disposer de plus de 580 véhicules blindés de combat sur un territoire qui s’étend de Saint-Pétersbourg au Caucase. Mais plusieurs milliers de blindés ont été déployés en Tchétchénie et Moscou ne compte pas les retirer de si tôt. La plupart des observateurs pensent donc que le moratoire ne sera pas du tout respecté. Ce ne serait pas la première fois que les déclarations de Boris Eltsine seraient contredites dans les faits depuis le début des hostilités. Le 27 décembre dernier, le président russe intervenait à la télévision pour ordonner l’arrêt des bombardements aériens sur les populations civiles. La ville d’Ourous Martane était bombardée peu après. Depuis, aucun cessez-le-feu n’a été appliqué. « Nous jugerons le Kremlin sur les actes et non sur ses paroles », déclare aujourd’hui sous couvert de l’anonymat un haut diplomate occidental. Les troupes russes, de leur côté, devront s’empêcher de répondre aux attaques que ne manqueront pas de multiplier les combattants tchétchènes. Dans les villes officiellement sous contrôle russe – Grozny, Goudermès ou Argoun -, les Tchétchènes « pacifiés » harcèlent les forces russes toutes les nuits, et ils profiteront de la trêve pour les titiller encore davantage. Les indépendantistes ont déjà annoncé qu’ils n’avaient aucune raison de faire un si beau cadeau à Boris Eltsine et qu’ils ne respecteraient pas la trêve. « Il n’y aura pas de cessez-le-feu. Nous avons le droit de continuer le combat », a déclaré au correspondant de l’AFP Shervani Albakov, commandant des forces rebelles dans l’ouest de la Tchétchénie. Et le ministre russe de la Défense, Pavel Gratchev, de répliquer que si les combattants tchétchènes tiraient, les forces russes répondraient et « désarmeraient les groupes de bandits armés ».

EVA GHEPA
MOSCOU

La Tribune (France)
jeudi 27 avril 1995

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