A trois semaines du sommet Clinton-Eltsine, les 10 et 11 mai à Moscou, la plupart des dossiers en discussion sont bloqués. Sur la question de la fourniture de technologie nucléaire russe à l’Iran, l’impasse est totale ; sur la Tchétchénie, non seulement la Russie a ignoré les mises en garde américaines successives, certes assez molles, mais son armée met les bouchées doubles à l’approche du 8 mai. Mieux : le ministre de la défense russe, le général Gratchev, avertit maintenant que son pays attendra la fin de la crise tchétchène pour appliquer l’accord sur la réduction des armements conventionnels en Europe (CFE). Sur l’élargissement de l’OTAN, les choses sont plutôt mal engagées. Blocage aussi, selon le Pentagone, sur les discussions à propos du traité ABM portant sur la limitation des systèmes antimissiles, et blocage, enfin, sur la ratification de l’accord de réduction des armes stratégiques Start II. Quant à la Bosnie, les Russes font désormais pratiquement cavalier seul au sein du groupe de contact.
Parti à Moscou la semaine dernière pour préparer le sommet, le secrétaire d’Etat adjoint Strobe Talbott est revenu les mains vides. « Les préparatifs se passent mal », reconnaît-on officieusement au département d’Etat. Strobe Talbott avait été précédé à Moscou par le secrétaire à la défense William Perry qui, lui, avait franchement et publiquement essuyé une fin de non-recevoir sur la question des réacteurs nucléaires iraniens et sur l’élargissement de l’OTAN. Avant de partir cette semaine rencontrer à Londres son homologue russe Gueorgui Mamedov, le sous-secrétaire d’Etat américain Lynn Davis a fait part de son pessimisme sur les chances de trouver une solution au problème du contrat nucléaire iranien avant le sommet. S’il fut un temps où, rituellement, Moscou faisait un geste de bonne volonté, aussi factice fût-il, avant la visite d’un président américain, ces temps-là sont bien révolus.
Le département d’Etat a haussé le ton la semaine dernière, par la voix de son nouveau porte-parole Nick Burns, un expert des affaires russes : le conflit tchétchène, a-t-il déclaré, « a un effet corrosif sur le développement des institutions démocratiques russes, et il a un effet négatif sur les relations russo-américaines. Nous sommes profondément troublés par les informations sur la poursuite de bombardements à grande échelle dans le sud de la Tchétchénie ». Warren Christopher lui-même a changé de ton. Le 29 mars, à l’Indiana University, il a ainsi exposé une ligne plus sobre des relations russo-américaines. « Notre approche est de coopérer lorsque nos intérêts coïncident, et de gérer nos divergences constructivement et franchement lorsqu’ils ne coïncident pas. » L’intervention en Tchétchénie, a-t-il dit, est « une erreur tragique ». Quant à l’Iran, la Russie « maudira le jour » où elle aura fourni à « cet Etat terroriste », à sa porte, la possibilité de produire des armes nucléaires.
L’administration américaine en est réduite à naviguer à vue, s’efforçant de trouver une logique dans la confusion moscovite. Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller du président Carter et grand connaisseur de la Russie, voit actuellement à Moscou « une sorte de combinaison instable d’autoritarisme, de pluralisme et d’anarchie. Eltsine lui-même est assez peu fiable et très instable. De temps en temps il se comporte très bien ; d’autres fois, il est complètement saoul. Cela ne favorise pas la stabilité».
AVERTISSEMENT
La prise de conscience de blocages croissants dans les relations avec Moscou date, pour les Américains, du sommet de Budapest, le 5 décembre 1994. Le durcissement des Russes, notamment sur l’élargissement de l’OTAN, fut un choc pour Washington. Mais les Etats-Unis refusent pour l’instant de subordonner les programmes d’assistance à des progrès sur les dossiers brûlants : supprimer ces programmes d’aide, soulignent-ils, « reviendrait à nous pénaliser nous-mêmes, puisque il est dans notre intérêt que la Russie poursuive les réformes ». En revanche, dans l’affaire iranienne, Washington n’hésite plus à brandir la menace de l’abandon du programme de coopération nucléaire civile, dont les Russes ont besoin pour moderniser leur énergie nucléaire. Début mars, une rencontre russo-américaine de haut niveau, qui devait permettre le renouvellement d’un accord de coopération nucléaire civile, a été annulée par Washington à titre d’avertissement.
Seuls points positifs : le désarmement nucléaire et le démantèlement des têtes nucléaires se passe bien. Cela explique sans doute une attitude plus coulante du Pentagone, qui a au moins le mérite de la clarté. Comme le disait récemment un responsable de la défense: « Quoi qu’il arrive en Russie, ce que nous devons surveiller, ce sont nos intérêts de sécurité. »
SYLVIE KAUFFMANN