A en croire les autorités et la plupart des médias russes, il ne s’est toujours rien passé à Samachki. Rien qui sorte de l’ordinaire, en tout cas : cette localité tchétchène a simplement été « libérée de ses combattants pro-Doudaev ». Pourtant, les témoignages se précisent sur ce qui ressemble de plus en plus à un massacre délibéré de civils commis à Samachki, entre le 7 et le 10 avril, par les forces russes.

Dénonçant le « mensonge » qui continue, Sergueï Kovalev, le commissaire russe aux droits de l’homme, a présenté, jeudi 13 avril à Moscou, les premiers résultats de l’enquête menée par ses représentants dans la région. Anatoli Chabad, un député de la Douma entré la veille à Samachki, a raconté : « Dans des maisons brûlées, nous avons vu des restes de corps dans des caves ravagées par des impacts de grenades. Les habitants nous ont dit que les soldats sortaient les hommes de tous âges et les fusillaient devant les femmes et les enfants. » Anatoli Chabad a montré un lance-flammes de l’armée russe trouvé sur place ainsi qu’une seringue jetable, semblable à celles qui, dit-il, jonchent le sol à Samachki. « Les rescapés disent tous que les soldats russes avaient un comportement anormal. Ils semblaient ivres ou drogués », dit-il. Selon les témoignages recueillis par ce groupe, les soldats, appuyés par des blindés pour entrer dans une localité déjà bombardée à l’artillerie depuis 48 heures, n’ont pas hésité à brûler des maisons où se terraient des civils, au lance-flammes ou en les arrosant d’essence. Des femmes, des enfants ou des vieillards auraient aussi été fusillés, poussés dans les flammes ou écrasés par les blindés, selon d’autres témoignages.

Andreï Blinouchev, un assistant de Sergueï Kovalev, a déclaré que la majorité des maisons de Samachki ont subi des destructions et que 20 % d’entre elles ont été brûlées. Un correspondant du quotidien russe Segodnya, entré dans le village, parle de 150 nouvelles tombes au cimetière, des corps brûlés de deux petites filles qui attendent d’être enterrés, ainsi que ceux de deux hommes, enroulés dans une couverture : l’un avec le crâne fendu, l’autre le ventre ouvert.

Les soldats, appartenant apparemment au ministère de l’intérieur, ont quitté le village depuis plusieurs jours, en brûlant encore l’école où ils s’étaient cantonnés. MM. Blinouchev et Chabad estiment enfin qu’il n’y avait pas de résistance armée organisée à Samachki.

L’actuel responsable des opérations en Tchétchénie, le général Anatoli Koulikov, aurait été à moitié désavoué. On a même annoncé qu’il avait été remplacé. Vendredi, l’information a été rectifiée : le général Koulikov, qui a « libéré les localités tchétchènes avec le moins de pertes possible », a simplement besoin de vacances. Il laisse la place, « par intérim » à un « spécialiste de la lutte contre la criminalité organisée ».

Ces hésitations sont le signe d’un malaise. Mais ce ne sont pas les télévisions russes qui l’auront provoqué. Elles ont fini par parler, cette semaine, de Samachki, mais pour en montrer une vue aérienne partielle en affirmant que sa « libération » s’est bien passée. NTV la chaîne privée qui, au début du conflit, avait montré plus de courage a même affirmé que des « anciens du village qui voulaient négocier avec les Russes ont été fusillés par les combattants tchétchènes ». Dans une lettre montrée par Sergueï Kovalev, plusieurs de ces « anciens » affirment que les seuls tirs sans gravité qu’ils ont subis provenaient du poste russe où ils négociaient avant l’assaut. M. Kovalev a particulièrement déploré cette attitude des télévisions russes, craignant que la Russie « ne replonge dans l’ancien système avant d’avoir eu le temps d’en sortir vraiment ».

SOPHIE SHIHAB

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