Dans une tribune publiée par Le Monde dans ses éditions datées du 16 mars, Bernard-Henri Lévy et Jacques Julliard avaient interpellé les candidats à l’élection présidentielle en posant six questions précises concernant l’attitude que la France adopterait, sous leur direction, sur la Bosnie, le Rwanda, la crise tchétchène, l’Algérie, et le cas de Salman Rushdie. Nous publions les réponses qui leur ont été adressées par Jacques Chirac, Edouard Balladur et Lionel Jospin. Les signataires du texte commenteront ces réponses à l’occasion d’un meeting qui se tiendra, jeudi 6 avril à 20 h 30, au Palais de la Mutualité à Paris.

SUR la Bosnie et plus particulièrement l’ex-Yougoslavie , je crois avec vous qu’une meilleure cohésion européenne aurait permis d’aborder ce problème très difficile plus efficacement.

Il est deux principes sur lesquels je demanderai au gouvernement français de se montrer intransigeant. Au point où nous en sommes, il faut : garantir l’inviolabilité des frontières des Etats successeurs de la fédération yougoslave ; garantir l’égalité des droits des citoyens et des groupes nationaux à l’intérieur de chacun de ces Etats, en interdisant la constitution d’entités territoriales « ethniquement » homogènes par l’échange de populations, la contrainte ou la terreur de l’odieuse « épuration ethnique ».

Refusant fermement toute « prime aux agresseurs », je considère ces deux impératifs comme les clés de la solution à la crise née de la désintégration de la Yougoslavie.

S’agissant de la Bosnie-Herzégovine, le plan du « groupe de contact », parce qu’il a été accepté par toutes les parties, à l’exception du groupe serbe de Pale, représente l’ultime chance d’engager un processus de règlement pacifique du conflit, à condition toutefois qu’il assure : l’intégrité territoriale effective du pays vis-à-vis de la Serbie et de la Croatie, un minimum de compétence aux instances centrales de l’Etat, pour que celui-ci soit viable, les droits de tous les citoyens et groupes nationaux qui composent le pays, et notamment le droit au retour dans leurs foyers des réfugiés et des expulsés.

L’application de ces dispositions, qui nécessiterait la mise en place d’un important dispositif de contrôle international, permettrait d’impulser une dynamique de paix propre à reconstituer progressivement les liens et le tissu détruits par la guerre.

Il est clair que si tous les efforts de paix échouent, la levée de l’embargo sur les armes deviendra inévitable. Sa conséquence immédiate sera le retrait de nos « casques bleus ».

Le règlement de la crise bosniaque ne se sépare pas du règlement du conflit entre Zagreb et les Serbes de Krajina, qui implique le respect de l’intégrité territoriale de la Croatie ainsi que le respect des droits individuels et nationaux des Serbes de Croatie.

La suspension et la levée des sanctions contre la Yougoslavie serbo-monténégrine doivent être subordonnées à la condition de l’acceptation par Belgrade de l’ensemble des points ci-dessus mentionnés.

Les menaces d’une reprise de la guerre sur une grande échelle, en Croatie comme en Bosnie-Herzégovine, découlent avant tout de la non-application de la plupart des résolutions et accords pris ou cautionnés par les instances internationales. L’Europe doit être plus dynamique, reprendre l’initiative et retrouver une cohésion dans l’action.

Le moyen le plus fort de conjurer les dangers humains et politiques d’une aggravation du conflit et de favoriser son dénouement doit être un engagement résolu des grandes puissances pour faire respecter les principes qu’elles prônent et appliquer les résolutions du Conseil de sécurité et de l’OTAN, qu’elles ont elles-mêmes suscitées ou approuvées. *

Sur la Russie : je suis de ceux qui pensent que l’Occident et nous-mêmes avons probablement trop donné aux autorités russes l’impression qu’elles avaient, en Tchétchénie ou ailleurs, les mains libres. Le marché, la libre concurrence, les privatisations ne sont pas synonymes de démocratie. Or, l’essentiel, c’est la consolidation de sociétés démocratiques, respectueuses des droits de l’homme et des libertés, dans tous les Etats de la CEI. On l’a parfois oublié. je serai, pour ma part, vigilant. *

Sur l’Afrique : je me suis déjà exprimé sur ce point. Je souhaite en particulier l’intégration du ministère de la coopération dans le ministère des affaires étrangères et le traitement des affaires africaines par le Quai d’Orsay. *

Sur l’Algérie : j’ai exprimé nettement, depuis plusieurs mois, mon double refus du terrorisme islamique et de la violence militaire. Je crois qu’il n’y a pas d’issue à la crise algérienne en dehors du dialogue et de la démocratie. J’attache la plus grande importance aux positions des forces démocratiques algériennes notamment celles qui siègent, à nos côtés, dans l’Internationale socialiste. J’estime que les accords de Rome sont un pas dans la bonne direction. Je n’oublie pas que le destin de l’Algérie est l’affaire des Algériens eux-mêmes. *

Sur Salman Rushdie : je vais le rencontrer prochainement. Je lui dirai toute ma solidarité et ma volonté d’obtenir, par tous les moyens adéquats, la levée de la fatwa qui menace sa vie. Je m’y emploierai de toutes mes forces. *

J’ajoute qu’à mon sens, ces questions, si importantes soient-elles, ne résument pas ce que doit être une politique internationale digne de la France. Je me permets de vous renvoyer à mes propositions, articulées autour de quatre principes la paix, la démocratie, le développement, la solidarité , et qui concernent aussi l’Europe et la défense.

D’une manière générale, je n’admets pas la raison d’Etat et je crois que la morale et le respect des règles démocratiques doivent rester le fondement des relations extérieures d’un pays comme le nôtre, qui doit être porteur d’un certain nombre de valeurs universelles.

PAR LIONEL JOSPIN

Leave a comment