LES responsabilités que la Constitution confère au président de la République en matière de politique étrangère exigent que les Français connaissent précisément les orientations proposées en ce domaine par ceux qui sollicitent leurs suffrages. C’est dans cet esprit que j’ai présenté, le 16 mars, ma conception de l’action extérieure de notre pays. Mon ambition, qui s’inscrit dans la droite ligne de l’enseignement du général de Gaulle, est de donner à la France la place originale et éminente qui lui revient dans les affaires du monde. (…)
La recherche d’une solution politique équitable au drame que connaît l’ancienne Yougoslavie constitue à mon sens une priorité essentielle de l’action du futur président de la République. (…) Il faut en particulier avoir le courage de réaffirmer que les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité en ce domaine ne sont pas de simples chiffons de papier, mais bien le fil conducteur qui doit guider l’action de la communauté internationale.
Cela vaut bien entendu pour les résolutions qui consacrent la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine ou qui concernent le respect des zones de sécurité. Ces textes nous donnent non seulement le droit mais aussi le devoir de multiplier nos efforts dans deux directions complémentaires.
Premier objectif, qui correspond à l’urgence : éviter la reprise de la guerre généralisée, en faisant taire les armes et en assurant le bon acheminement de l’aide humanitaire dont continue de dépendre une grande part des populations civiles concernées. C’est dans cet esprit qu’il faut en particulier obtenir la levée complète du siège de Sarajevo, en prolongeant l’action courageuse engagée par notre pays avec l’ultimatum de février 1994.
Deuxième objectif : relancer parallèlement une vraie dynamique diplomatique qui seule peut éviter d’en venir, pour reprendre l’expression d’Alain Juppé, à des « solutions du désespoir » comme la levée de l’embargo sur les armes. Ma conviction est que la rencontre au sommet proposée par le ministre des affaires étrangères entre les présidents Tudjman, Izetbegovic et Milosevic, centrée sur l’objectif de la reconnaissance mutuelle des Etats concernés dans leurs frontières internationalement reconnues, peut marquer un progrès décisif en ce sens. Dans le même esprit, il convient de poursuivre activement les discussions engagées pour la redéfinition du mandat des « casques bleus » en Croatie, afin d’établir notamment une surveillance appropriée des frontières internationales de ce pays. * Il serait très dangereux pour la sécurité et la stabilité de l’Europe de rejeter ou d’isoler la Russie. Il s’agit d’un grand pays ami de la France et qui doit avoir toute sa place dans l’architecture du continent européen. Nous devons établir avec la Russie une relation de partenariat et l’aider dans son processus difficile de réformes démocratiques et économiques.
Mais ce partenariat, que j’appelle de mes voeux, a naturellement ses exigences. La crise en Tchétchénie a sérieusement contrarié le rapprochement entre l’Union européenne et la Russie. L’Union a posé quatre conditions à la signature d’un important accord commercial avec la Russie : un arrêt des combats en Tchétchénie, l’engagement de discussions pour parvenir à un règlement politique de cette crise, une présence permanente de l’OSCE dans la région, le libre acheminement de l’aide humanitaire aux zones sinistrées. Je souhaite que ces conditions soient satisfaites le plus rapidement possible pour non seulement retrouver la paix en Tchétchénie, mais aussi pour restaurer la crédibilité et l’image de la Russie sur la scène internationale. *
La France a été active pour chercher à résoudre le drame du Rwanda, mais beaucoup reste encore à faire, en particulier pour le droit et la justice. Il convient de rappeler que le terme de génocide s’appliquant au Rwanda a d’abord été employé par Alain Juppé. Il faut aussi se souvenir que c’est à la demande de la France que le Conseil de sécurité a chargé le secrétaire général des Nations unies d’une enquête sur l’attentat qui a causé la mort des présidents rwandais et burundais et déclenché les massacres.
C’est la France qui est par ailleurs à l’origine de la résolution 935 du Conseil de sécurité, qui crée une commission d’enquête sur les massacres commis au Rwanda. Pendant toute la durée de l’« opération Turquoise », les militaires français et africains ont recueilli des témoignages sur le génocide qu’ils ont transmis aux Nations unies. Enfin et surtout, la France a appuyé la création du tribunal pénal international sur le Rwanda, afin que justice puisse être rendue de manière indépendante et impartiale et que soit mis fin à l’impunité au Rwanda.
Tout un arsenal juridique existe donc qui doit permettre que la lumière soit faite sur le génocide rwandais, ce que je souhaite vivement. On peut cependant s’étonner que le tribunal pénal international sur le Rwanda ne soit pas encore en état de fonctionner, en raison sans doute de lourdeurs bureaucratiques difficilement excusables. L’établissement de l’exacte vérité sur le génocide rwandais ainsi que le jugement des responsables nécessitent l’effort de tous. Je m’engage pour ma part à ce que la France fasse tout ce qui est en son pouvoir pour y contribuer. *
Je considère que l’évolution de l’Algérie constitue aujourd’hui l’une de nos préoccupations les plus graves. Le destin de ce pays ne peut nous laisser indifférents. Je suis profondément indigné quand je constate la violence dont est aujourd’hui victime la population civile en Algérie et je relève avec satisfaction que la France, comme ses partenaires de l’Union européenne, a condamné à de nombreuses reprises et de la manière la plus nette la violence d’où qu’elle vienne dans ce pays. Cette banalisation de l’horreur en Algérie n’est pas acceptable et c’est pourquoi il nous faut continuer à la condamner sous toutes ses formes.
Mais la violence ne trouvera un terme que par un règlement politique et une véritable réconciliation nationale. C’est ce règlement que nous appelons de nos voeux, mais il appartient aux Algériens et à eux seuls, dans leurs différentes composantes, d’en tracer les contours. Il est exclu que la France pratique je ne sais quelle forme d’ingérence ou se pose en donneuse de leçons. (…) Il n’y aura pas de solution à cette crise algérienne sans une réconciliation qui passera par des élections véritablement démocratiques. * Comme chacun le sait, l’Iran est une puissance régionale qui occupe une position charnière entre le Moyen-Orient, le Golfe et l’Asie centrale. Notre dialogue avec l’Iran se justifie donc par l’importance stratégique de ce pays qu’on ne peut isoler sans conforter les éléments radicaux du régime en place. Il me paraît donc nécessaire de poursuivre le dialogue sans complaisance que la France et l’Union européenne entretiennent aujourd’hui avec ce pays. La concertation existe déjà entre les grandes nations démocratiques puisque les Quinze ont une position commune qui consiste à poursuivre ce « dialogue critique ». Je souhaite que ce dialogue permette de modifier certains comportements de ce pays qui ne sont pas acceptables ni compatibles avec les droits de l’homme que la France doit conserver comme un des critères de son action internationale. * S’agissant de Salman Rushdie, l’Union européenne, dès l’origine, a condamné la fatwa inacceptable qui pèse sur l’écrivain britannique. J’ai reçu moi-même Salman Rushdie le 20 mars pour lui exprimer mon soutien à son action. J’appuie l’idée qu’il a suggérée et qui a été soutenue par le ministre des affaires étrangères consistant à exiger de l’Iran qu’il accepte publiquement de ne rien faire sur le territoire des Quinze en vue de porter atteinte à la sécurité de Salman Rushdie ou des gens qui sont liés à son activité. L’Iran doit respecter le droit international, s’il souhaite un jour s’intégrer complètement dans son environnement régional. Ce pays n’a d’autre solution que d’adopter un comportement qui fasse de lui un acteur à part entière de la société internationale. A cette fin, l’Iran devrait soutenir le processus de paix au Proche-Orient et reconnaître enfin le droit à l’existence d’Israël.
PAR JACQUES CHIRAC