Dans le cadre du programme de coopération pour la réduction du danger nucléaire, Bill Clinton est tenu par le Congrès de certifier que la Russie, bénéficiaire de l’aide américaine, « respecte les droits de l’homme, y compris la protection des minorités ». Mais le massacre de la « minorité » tchétchène semblait loin des préoccupations de William Perry, en visite, lundi 3 avril à Moscou, après s’être rendu en Ukraine, au Kazakhstan et en Ouzbékistan. Le secrétaire à la défense américain, accompagné d’une délégation d’industriels intéressés par les programmes de conversion, fut surtout soucieux d’accentuer les côtés « positifs » qui, dans le partenariat russo-américain, se juxtaposent aux aspects « négatifs », notamment la question de la vente à l’Iran de réacteurs nucléaires russes.
Le premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, a fermement réaffirmé, lundi, que Moscou n’entendait pas renoncer à ce contrat d’un milliard de dollars. Mais le côté positif, selon M. Perry, fut que le premier ministre russe ait « admis » que cette livraison posait un problème de sécurité et avait promis de s’engager, par exemple, à retraiter en Russie le combustible irradié. Ce qui ne diminue pas le danger principal, à savoir l’acquisition d’expertise nucléaire par l’Iran. « Ce pays dispose de tant de gaz et de pétrole qu’il n’a pas besoin de réacteurs nucléaires civils. S’il a besoin de plutonium, c’est pour [fabriquer] une bombe nucléaire », a affirmé M. Perry. Le côté positif restant, là aussi, la création d’un groupe de travail russo-américain sur le sujet, décidée fin mars à Genève.
D’ici aux rencontres à Moscou, les 9 et 11 mai, des présidents Clinton et Eltsine, la Russie sera peut-être séduite par l’offre « compensatoire » américaine, révelée par le New York Times. Il s’agirait, pour Moscou, de participer au consortium international qui doit livrer des réacteurs nucléaires civils à la Corée du Nord. M. Perry a reconnu qu’une telle offre est possible, tout en démentant qu’il s’agisse d’une compensation aux projets russo-iraniens…
Autre pomme de discorde : les projets d’élargissement de l’OTAN. Le ministre de la défense, Pavel Gratchev, auquel son aventure tchétchène et ses grossièretés proférées contre Sergueï Kovalev, « la conscience de la Russie », avaient valu d’être persona non grata en Allemagne, a pris sa revanche, lundi. Il est apparu triomphant, sur les écrans de télévision russes, signant avec son homologue américain un accord octroyant une rallonge de 20 millions de dollars de crédits américains (autant que celle reçue samedi 1 avril par l’Ukraine) pour la destruction d’armes nucléaires stratégiques aux termes de l’accord Start I. La jubilation du général Gratchev fut couronnée par l’insistance qu’il mit à réaffirmer l’opposition de la Russie à tout élargissement de l’OTAN : si un tel élargissement devait avoir lieu, a-t-il dit, la Russie renforcerait sa coopération militaire avec ses voisins de la CEI et renoncerait à appliquer les accords CFE sur la limitation des armes conventionnelles.
En réalité, Moscou renforce déjà ses bases militaires dans plusieurs États de la CEI et a déjà violé les accords CFE en concentrant des forces dans le Caucase du Nord pour sa guerre en Tchétchénie. Mais M. Perry a trouvé, là aussi, des aspects positifs : le général Gratchev aurait accepté, selon lui, l’offre américaine de voir la Russie jouer un « rôle moteur » dans le Partenariat pour la paix de l’OTAN, dont Moscou avait refusé, en décembre 1994, de signer les programmes d’application. Quant à l’élargissement de l’OTAN aux voisins de la Russie, celle-ci ne devrait pas trop s’en inquiéter: « Ce n’est pas demain, a déclaré M. Perry, que les seize Parlements concernés parviendront à ratifier l’admission d’un nouveau membre… »
SOPHIE SHIHAB