AU LIEU D’UNE SEMAINE, le périple ferroviaire de Boris Eltsine à travers la Russie profonde n’aura duré que le temps d’une étape. Après un maigre bain de foule, lundi 27 mars, à Riazan, à 200 kilomètres au sud de Moscou, le président russe a, contre toute attente, choisi de poursuivre son voyage, en avion, jusqu’à sa datcha de Kislovodsk, une station thermale à moins de 300 kilomètres de Grozny. Mettant un terme inattendu aux traditionnelles « rencontres avec la population », qui, selon certains, constituent un coup d’envoi à la campagne présidentielle, le « tsar » Boris a préféré regagner le nord du Caucase, où il peut s’adonner aux joies du tennis.

L’accueil à Riazan avait été mitigé. Aux trois cents habitants venus l’accueillir à la gare malgré les intempéries, il demanda si la vie n’était pas « trop dure ». Les malheureux s’étant crus obligés de répondre par la négative, il leur lança un regard faussement courroucé, puis enchaîna sur une question plus scientifique, concernant « le taux de natalité dans la région ». Tranchant avec le style décontracté qu’il affectait avant son élection à la présidence, en 1991, Boris Eltsine semble avoir désormais opté pour un style plus « brejnévien ».

Escorté par une kyrielle de gardes du corps, le premier président « démocrate » de la Russie vit, dit-on, dans la psychose de l’attentat tchétchène. Déjà, à l’été 1994, lors d’une tournée présidentielle en Sibérie, les forces de police de la ville de Krasnoïarsk avaient dû, contraintes et forcées, remettre leurs armes aux membres de la toute-puissante garde présidentielle dépêchés sur place et postés jusque sur les toits de la localité sibérienne, dans la hantise d’un attentat.

Dans sa tentative d’imiter Alexandre Soljenitsyne, qui traversa la Russie en train, en juillet 1994, après vingt ans d’exil, Boris Eltsine semble avoir oublié combien sa popularité avait chuté. A la veille de ses « vacances de travail », la télévision indépendante NTV avançait le chiffre de 6 % à peine de satisfaits par la gestion présidentielle. Ce sondage et l’indifférence de la population de Riazan suffisent à expliquer la désaffection soudaine du chef du Kremlin pour la Russie rurale.

Reste à souhaiter que la tenue des élections, législatives en décembre prochain et présidentielle en 1996, ne connaisse pas le sort du voyage en train. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent, en effet, à Moscou pour réclamer leur report, dont le résultat serait, à coup sûr, un « cataclysme » pour la Russie, selon des membres de l’entourage présidentiel.

Boudée par le numéro un, la province russe n’a pourtant pas tout perdu : comme au XVIII siècle, lors du voyage de la Grande Catherine le long de la Volga, les villes qui jalonnaient le parcours présidentiel ont été nettoyées de leurs tas d’ordures, les graffitis ont disparu, les gares ont été repeintes, les routes refaites ; « Sa Majesté passe », expliquait un insolent de Riazan.

MARIE JEGO

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