PAUVRES Tchétchènes. Au moment où, çà et là, on disserte beaucoup sur les droits des minorités, les voilà définitivement sacrifiés sur l’autel d’une realpolitik occidentale qui, trop souvent, masque une molle complaisance vis-à-vis de Moscou. Chaque jour qui passe voit les troupes de Moscou pilonner à nouveau telle ou telle localité de la petite République sécessionniste du nord du Caucase. Chaque jour amène son lot de récits sur les tortures, exécutions, pillages auxquels se livrent les troupes spéciales dépêchées pour briser la résistance des partisans du président Djhokar Doudaev. Chaque jour, il est un peu plus évident que les Russes contrairement à tout ce qu’ils racontent à leurs interlocuteurs occidentaux n’ont aucunement l’intention de négocier avec qui que ce soit en Tchétchénie.

Après avoir littéralement détruit une ville d’un demi-million d’habitants, Grozny, ils vont continuer à bombarder. Qui les en empêcherait ? La question n’a pas paru dominer les sept heures d’entretiens qu’ont eues, mercredi et jeudi à Genève, le secrétaire d’Etat américain, Warren Christopher, et son homologue russe, Andreï Kozyrev. Sans même pouvoir être certains que cette sale guerre sera éteinte à cette date et il y a beaucoup de risques pour qu’elle ne le soit pas , François Mitterrand et Bill Clinton ont déjà fait savoir qu’ils se rendraient le 9 mai à Moscou pour y célébrer le cinquantième anniversaire de la victoire alliée sur les nazis. On peut comprendre la volonté des Occidentaux de ne pas « humilier » davantage une Russie déjà outrée de ne pas avoir été invitée à participer aux cérémonies commémoratives du débarquement en juin. Mais le Kremlin y verra un autre message : en faisant le voyage de Moscou, les dirigeants occidentaux font un geste de plus entérinant les massacres commis en Tchétchénie ; ils consacrent le droit du Kremlin à faire régner la terreur à l’intérieur des frontières de la Fédération de Russie.

Les Européens ne sont pas plus scrupuleux que les Américains. Ils s’apprêtent à lever l’une des rares mesures décidées pour marquer leur désapprobation de la guerre en Tchétchènie : le report de la signature d’un accord de partenariat intérimaire conclu entre la Russie et l’Union européenne. On signerait en avril, pour remercier les Russes de bien vouloir accepter la présence d’une mission de l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe (OSCE) sur le territoire tchétchène… La diplomatie russe a tout lieu de se réjouir. Elle vient d’obtenir ainsi une impunité à peu près totale pour l’opération menée par l’armée russe dans le Caucase, tandis que Moscou engrangeait, là encore sans trop d’engagements précis, un crédit de plus de 6 milliards de dollars du Fonds monétaire international. L’Occident est convaincu qu’il faut ménager Boris Eltsine. Que peuvent bien peser quelques montagnards tchétchènes ?

Leave a comment