« Une affaire intérieure » : après trois jours de silence embarrassé, le verdict de Moscou sur la crise en Crimée est tombé. Le « coup de force » que tentent les Ukrainiens en Crimée, péninsule du sud du pays peuplée à près de 65 % de Russes aux tendances séparatistes, est « une affaire intérieure » à l’Ukraine, a déclaré, lundi 20 mars à Kiev, le premier vice-ministre russe Oleg Soskvets.

Malgré les événements, ce haut responsable russe avait maintenu sa visite, et a réglé lundi une bonne partie du contentieux russo-ukrainien qui retarde la signature d’un traité entre les deux géants slaves. « Cet avis est aussi celui du président russe Boris Eltsine », qui pourtant se tait, a cru bon de préciser un vice-ministre ukrainien des affaires étrangères. Le président ukrainien Leonid Koutchma qui semble avoir lui-même planifié la décision d’abolir la « présidence » et la constitution de Crimée a exprimé sa « reconnaissance » aux autorités russes pour leur « compréhension », soulignant que « personne n’a l’intention de supprimer l’autonomie » de la Crimée.

LE SILENCE DE M. ELTSINE

Le vice-premier ministre russe a livré l’une des raisons de la mansuétude russe. M. Soskovets a expliqué que l’attitude de l’Ukraine, qui « a compris les problèmes intérieurs délicats de la Russie », notamment la guerre menée contre les séparatistes tchétchènes, expliquait « la réaction de Moscou face à la situation en Crimée ».

L’autre raison de l’attitude russe, moins mise en avant, est que Moscou n’avait aucun intérêt à sacrifier l’intéressant rapprochement avec l’Ukraine pour les Russes de Crimée, qui ont le tort de ne pas comprendre qu’ils ont été utilisés par la Russie comme moyen de pression sur Kiev.

Oleg Soskvets a donc continué de négocier l’épuration du passif ukrainien, signant deux accords sur le règlement de la dette de Kiev (4,2 milliards de dollars au total). Une partie de cette dette devrait être réglé par des prises de participation du géant russe du gaz Gazprom (dont le premier ministre russe serait un important actionnaire) dans des entreprises ukrainiennes. Les Russes souhaitent notamment racheter les gazoducs ukrainiens, ce que les nationalistes d’Ukraine dénoncent comme du « néocolonialisme » économique.

Russes et Ukrainiens doivent continuer à négocier l’avenir de la flotte de la mer Noire, notamment le partage des installations portuaires, basées en Crimée.

Lâché par le Kremlin, le « président » destitué de Crimée, le Russe Iouri Mechkov en a appelé lundi au Parlement de Moscou. Faute de contrôler les médias, ses appels au peuple de Crimée semblent rencontrer peu d’écho. Il a été invité à rendre ses deux pistolets ou à « faire face aux conséquences »…

Dans la capitale russe, les événements laissent la population et la presse de marbre à part la Pravda, qui dénonce « le régime arbitraire de force » et le « silence altier » de Boris Eltsine. Seuls quelques députés de la Douma se sont émus. Le président de la commission parlementaire pour la CEI, Konstantin Zatouline, a estimé que le traité, pas encore signé entre Moscou et Kiev, ne pourrait être ratifié par la Douma. Il a jugé qu’on ne pouvait comparer la Tchétchénie et la Crimée car « Iouri Mechkov a été élu par 70 % de la population alors que Djhokar Doudaev (le président tchétchène) est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat » . Outre que le président Doudaev a lui aussi été « élu » à une écrasante majorité, il semble, cependant, que la population tchétchène soit aujourd’hui prête à se faire tuer pour son pays et pas celle de Crimée.

JEAN-BAPTISTE NAUDET

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