Au risque de laisser le Kremlin un peu plus libre encore de bombarder les populations tchétchènes, le président Bill Clinton a décidé de se rendre à Moscou pour les cérémonies du cinquantième anniversaire de la victoire des Alliés contre les nazis et d’y tenir un « sommet » avec son homologue russe, Boris Eltsine. Les deux hommes parleront, notamment, de la sécurité en Europe et des conditions auxquelles Moscou pourrait accepter un élargissement de l’OTAN à certains pays est-européens. La rencontre, qui suscite de vives critiques aux Etats-Unis du côté des républicains, sera préparée mercredi 22 et jeudi 23 mars à Genève par le ministre russe des affaires étrangères, Andreï Kozyrev, et le secrétaire d’Etat, Warren Christopher. Celui-ci doit faire étape mercredi à Paris. Le président américain devrait également se rendre en Ukraine.

Après des semaines de tergiversations, la Maison Blanche a annoncé lundi 20 mars que le président Bill Clinton se rendrait à Moscou le 9 mai, pour assister aux cérémonies du cinquantième anniversaire de la victoire alliée sur le régime nazi. M. Clinton devrait également se rendre en Ukraine et un sommet Eltsine-Clinton aura lieu le 11 mai à Moscou. Cette décision comporte des risques politiques pour le président américain. L’administration démocrate a cependant estimé que le danger de paraître avaliser l’intervention de l’armée russe en Tchétchénie, par la seule présence de M. Clinton à un défilé militaire sur la place Rouge, valait d’être couru.

Pour Boris Eltsine, il s’agit d’un succès diplomatique, qu’il lui faut maintenant exploiter, sur le plan intérieur, face à ses adversaires politiques. Le président russe n’a pas ménagé ses efforts pour faire fléchir Washington. Moscou avait laissé entendre qu’un refus contribuerait de facto à affaiblir M. Eltsine, alors même que les Etats-Unis ne perdent pas une occasion de réitérer leur soutien à la politique mise en oeuvre par le chef du Kremlin.

Deux éléments supplémentaires semblent avoir emporté la décision américaine. D’abord le fait que M. Eltsine a récemment confirmé que des élections législatives et présidentielle auraient lieu, respectivement, en décembre 1995 et juin 1996, tout en réaffirmant son engagement en faveur des réformes économiques et politiques. M. Clinton a, d’autre part, déclaré qu’il « appréciait » la décision de réduire le défilé militaire du 9 mai à sa plus simple expression : seuls 2 500 anciens combattants de la seconde guerre mondiale participeront à la cérémonie, et tout matériel militaire sera exclu. La « mise en scène et le scénario » (selon l’expression de la présidence américaine) ayant ainsi été réglés, Bill Clinton pourra participer au sommet américano-russe qui se tiendra le lendemain de la cérémonie, avant de partir pour l’Ukraine. La rencontre des deux chefs d’Etat devrait porter, outre la question tchétchène, sur l’architecture de sécurité en Europe et le désarmement bilatéral : Washington insiste pour que le Parlement russe ratifie rapidement le traité Start II, condition sine qua non pour une nouvelle étape du désarmement nucléaire.

Les deux hommes devraient procéder à un échange de lettres sur les conditions (traité ou pacte de relations privilégiées avec la Russie) auxquelles Moscou pourrait accepter un élargissement de l’OTAN à certains pays d’Europe de l’Est. Il n’est pas impossible que le différend sur la question de la vente de réacteurs nucléaires russes à l’Iran puisse trouver une solution. Malgré toutes les précautions prises, à Moscou comme à Washington, pour rendre plus « acceptable » le voyage du chef de la Maison Blanche, Bill Clinton n’échappera pas aux critiques des républicains.

Ceux-ci dénoncent la politique russe poursuivie par la Maison Blanche, qui se résume, selon Robert Dole, le chef de la majorité sénatoriale, à un slogan, « Eltsine d’abord ». M. Dole stigmatise l’orientation, à ses yeux de plus en plus autoritaire, de Boris Eltsine, et demande que les Etats-Unis ne subordonnent pas leurs relations avec la Russie à un soutien aveugle au président russe.

LAURENT ZECCHINI

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