Dans un entretien accordé à plusieurs journaux étrangers, le président russe se déclare, une nouvelle fois, contre l’extension de l’OTAN aux pays d’Europe centrale. Il souhaite toujours que les dirigeants occidentaux, dont Bill Clinton et François Mitterrand, assistent, mardi 9 mai à Moscou, aux cérémonies commémorant la victoire sur l’Allemagne nazie. SOUTENUS par le Kremlin et par les principales banques du pays, des députés russes ont créé une nouvelle formation parlementaire, baptisée « Stabilité », qui a d’ores et déjà demandé le report des élections législatives prévues en décembre. EN AZERBAIDJAN, les troupes gouvernementales ont déclenché, vendredi 17 mars dans la matinée, une offensive contre une unité de policiers rebelles au nord de Bakou. Selon le président Aliev, les mutins souhaitent s’emparer du pouvoir.

Opération de charme au Kremlin. Soucieux de corriger la mauvaise image que la guerre en Tchétchénie a donnée à la Russie, Boris Eltsine a reçu, jeudi 16 mars, quelques journalistes représentant les pays du G7, le groupe des pays les plus industrialisés, avec un journaliste égyptien, pour montrer que le «Sud» n’était pas oublié. (Outre Le Monde, étaient présents des journalistes du New-York Times, Die Welt, Financial Times, Corriere della Sera, Yomiuri (Japon), Al Akhbar (Egypte).)

Le président russe voudrait bien être accueilli à part entière dans le club des grands lors du prochain sommet de Halifax, au mois de juin. En attendant, le message est clair : la Russie, sous la ferme direction de Boris Eltsine, continue sur la voie des réformes, l’intervention en Tchétchénie contre «le bandit Doudaev» ne change rien à cette orientation ; d’ailleurs il n’y aura plus d’opérations militaires le 9 mai, Bill Clinton peut donc venir en toute tranquillité assister comme François Mitterrand aux fêtes célébrant le 50 anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. «Le président Clinton aimerait bien venir, nous a déclaré M. Eltsine. La Tchétchénie n’est pas un obstacle. Peut-être est-il préoccupé par le scénario. Mais il n’y aura pas de défilés sur la place Rouge d’armements modernes, de fusées, etc. Il y aura simplement une parade militaire avec des soldats et des anciens combattants, et quelques discours… Il ne risque donc pas d’être mis dans l’embarras en étant photographié devant des armes de destruction massive.» Le programme peut être discuté pour que la fête ne soit pas gâchée.

LES ACCORDS SALT II

Le président russe crédite son collègue américain d’une certaine « retenue » à propos de la situation en Tchétchénie et se félicite que Bill Clinton ait affirmé à plusieurs reprises « soutenir fermement Eltsine ». On feint de penser à Moscou que si la presse, russe comme étrangère, ne s’ingéniait pas à dramatiser les problèmes, tout cela ne serait pas si grave.

Sans doute des difficultés apparaissent-elles sur certains sujets. La ratification des accords SALT II traîne, devant le Parlement russe comme devant le Congrès américain ; M. Eltsine se dit d’accord avec M. Clinton pour commencer, dès qu’elle sera acquise, les négociations sur un nouveau traité de réduction des armements. La principale divergence porte sur l’avenir de l’OTAN. «Nous sommes contre l’extension immédiate, puissante, accélérée de l’OTAN, a répété le président russe. Nous en avons à peine fini avec le système des blocs militaires. Si des pays d’Europe centrale et orientale adhéraient à l’OTAN, l’organisation atlantique arriverait jusqu’à la frontière de la Russie. Ce serait le retour de l’Europe des blocs. Est-ce vraiment ainsi qu’on doit concevoir la sécurité du continent tout entier?» M. Eltsine a éludé une question sur la distinction que Moscou pourrait accepter de faire entre les candidats potentiels à l’OTAN, selon leur taille, l’existence ou l’absence de frontières communes avec la Russie, etc. ÉCHANGE DE LETTRES

Recevant la semaine dernière le premier ministre hongrois Gyula Horn, il avait indiqué qu’une éventuelle adhésion de la Hongrie à l’OTAN n’affecterait pas les relations bilatérales. Il a confirmé en revanche, sans donner plus détails, qu’un échange de lettres était en préparation avec le président des Etats-Unis sur cette question de l’élargissement de l’OTAN et de l’architecture de sécurité en Europe.

Interrogé sur la situation en Tchétchénie, le chef du Kremlin a rejeté toute idée de rencontre avec le général Doudaev, « qui ne mérite que le tribunal, pour crimes contre son propre peuple et mutinerie contre les autorités de la Fédération de Russie ». Ce qui ne veut pas dire que des négociations ne doivent pas avoir lieu.

UN TABLEAU PLUTÔT OPTIMISTE

D’ailleurs, elles ont commencé, assure M. Eltsine, et elles doivent être menées « plus vigoureusement ». « On a des conversations à divers niveaux, avec les anciens, avec les chefs religieux, avec les autorités locales. Un gouvernement tchétchène est en train de s’organiser. Le but est de pouvoir élire un Parlement et un président tchétchènes». Et le président d’ajouter, pour souligner sa première préoccupation du jour: « Aussi longtemps que des élections démocratiques n’auront pas eu lieu, je sais que nous ne pourrons pas convaincre le monde extérieur que l’ordre constitutionnel et le respect des droits de l’homme sont rétablis en Tchétchénie. »

M. Eltsine a d’autre part tracé un tableau plutôt optimiste de la situation générale en Russie. «1995 a mieux commencé que l’année dernière ne s’était terminée. L’inflation mensuelle est passée de 17 à 11%; dans la moitié des entreprises industrielles, la production est en augmentation, ce qui est très encourageant. L’approvisionnement est bien assuré; ce qui manque, c’est le pouvoir d’achat. 60% de la production a été privatisée en deux ans, et ce taux passera à 80% à la fin de l’année ».

Le président annonce une nouvelle phase des réformes, « une étape plus profonde, plus intégrée avec la CEI, particulièrement avec le Kazakhstan et la Biélorussie, mais aussi avec l’Ukraine » (cette étape devrait concerner la réforme du système bancaire pour le rapprocher des normes occidentales). « Nous voulons une union, mais pas une union à la mode ancienne, une union d’Etats indépendants et souverains, menant leur propre politique. »

Le point culminant de la crise liée à la mutation du système économique est dépassé, estime M. Eltsine, qui veut ramener le taux d’inflation à 1 ou 2% par mois à la fin de cette année; mais surtout, dit-il, «les gens commencent à comprendre ce qu’est le marché, alors que pendant soixante-quinze ans ils ont ignoré la propriété privée. Au début, ceux qui ont touché des actions ne croyaient pas en ce bout de papier; maintenant ils ont compris leur intérêt à bien travailler pour avoir une production en augmentation et de bonne qualité. »

Boris Eltsine ne veut laisser planer aucun doute sur le fait qu’il est l’inspirateur de la politique économique et des réformes: «C’est le président qui prend les décisions les plus importantes. » Le premier ministre Tchernomyrdine est associé à la définition des positions fondamentales; « Après, aucun ministre, aucun vice-premier ministre, ne peut changer la décision. Pas un seul sujet concernant les réformes n’échappe au président et ensuite au premier ministre. » M. Eltsine n’est pas peu fier d’avoir mis récemment son veto à la décision de la Douma d’augmenter le salaire minimum, pour montrer que, « cette année, nous avons décidé une politique financière plus rigoureuse ». Dans ces conditions, conclut-il, « avec les réformes, ça ne peut aller que de l’avant ».

DANIEL VERNET

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